20000 lieues sous les mers

20000 lieues sous les mers
Jules Verne
Published: 1871
Type(s): Novels, Science Fiction, Adventure
Source: http://www.ebooksgratuits.com
A propos de Verne:
Jules Gabriel Verne (February 8, 1828–March 24, 1905) was a
French author who pioneered the science-fiction genre. He is best
known for novels such as Journey To The Center Of The Earth (1864),
Twenty Thousand Leagues Under The Sea (1870), and Around the World
in Eighty Days (1873). Verne wrote about space, air, and underwater
travel before air travel and practical submarines were invented,
and before practical means of space travel had been devised. He is
the third most translated author in the world, according to Index
Translationum. Some of his books have been made into films. Verne,
along with Hugo Gernsback and H. G. Wells, is often popularly
referred to as the "Father of Science Fiction". Source:
Wikipedia
Disponible sur Feedbooks pour
Verne:
Voyage au centre de la
Terre (1864)
Le Tour du monde en
quatre-vingts jours (1873)
De la Terre à la
Lune (1865)
Autour de la Lune
(1869)
Michel Strogoff
(1874)
Une Ville
flottante (1870)
Voyages et Aventures du
Capitaine Hatteras (1866)
Les Enfants du capitaine
Grant (1868)
Les Naufragés du
Jonathan (1909)
Mathias Sandorf
(1885)
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Partie 1
Chapitre 1
Un écueil fuyant
L’année 1866 fut marquée par un événement bizarre, un phénomène
inexpliqué et inexplicable que personne n’a sans doute oublié. Sans
parler des rumeurs qui agitaient les populations des ports et
surexcitaient l’esprit public à l’intérieur des continents les gens
de mer furent particulièrement émus. Les négociants, armateurs,
capitaines de navires, skippers et masters de l’Europe et de
l’Amérique, officiers des marines militaires de tous pays, et,
après eux, les gouvernements des divers États des deux continents,
se préoccupèrent de ce fait au plus haut point.
En effet, depuis quelque temps, plusieurs navires s’étaient
rencontrés sur mer avec « une chose énorme » un objet long,
fusiforme, parfois phosphorescent, infiniment plus vaste et plus
rapide qu’une baleine.
Les faits relatifs à cette apparition, consignés aux divers
livres de bord, s’accordaient assez exactement sur la structure de
l’objet ou de l’être en question, la vitesse inouïe de ses
mouvements, la puissance surprenante de sa locomotion, la vie
particulière dont il semblait doué. Si c’était un cétacé, il
surpassait en volume tous ceux que la science avait classés
jusqu’alors. Ni Cuvier, ni Lacépède, ni M. Dumeril, ni M. de
Quatrefages n’eussent admis l’existence d’un tel monstre — à moins
de l’avoir vu, ce qui s’appelle vu de leurs propres yeux de
savants.
A prendre la moyenne des observations faites à diverses reprises
— en rejetant les évaluations timides qui assignaient à cet objet
une longueur de deux cents pieds et en repoussant les opinions
exagérées qui le disaient large d’un mille et long de trois — on
pouvait affirmer, cependant, que cet être phénoménal dépassait de
beaucoup toutes les dimensions admises jusqu’à ce jour par les
ichtyologistes — s’il existait toutefois.
Or, il existait, le fait en lui-même n’était plus niable, et,
avec ce penchant qui pousse au merveilleux la cervelle humaine, on
comprendra l’émotion produite dans le monde entier par cette
surnaturelle apparition. Quant à la rejeter au rang des fables, il
fallait y renoncer.
En effet, le 20 juillet 1866, le steamer
Governor-Higginson, de Calcutta and Burnach steam
navigation Company, avait rencontré cette masse mouvante à cinq
milles dans l’est des côtes de l’Australie. Le capitaine Baker se
crut, tout d’abord, en présence d’un écueil inconnu ; il se
disposait même à en déterminer la situation exacte, quand deux
colonnes d’eau, projetées par l’inexplicable objet, s’élancèrent en
sifflant à cent cinquante pieds dans l’air. Donc, à moins que cet
écueil ne fût soumis aux expansions intermittentes d’un geyser, le
Governor-Higginson avait affaire bel et bien à quelque
mammifère aquatique, inconnu jusque-là, qui rejetait par ses évents
des colonnes d’eau, mélangées d’air et de vapeur.
Pareil fait fut également observé le 23 juillet de la même
année, dans les mers du Pacifique, par le Cristobal-Colon,
de West India and Pacific steam navigation Company. Donc, ce cétacé
extraordinaire pouvait se transporter d’un endroit à un autre avec
une vélocité surprenante, puisque à trois jours d’intervalle, le
Governor-Higginson et le Cristobal-Colon
l’avaient observé en deux points de la carte séparés par une
distance de plus de sept cents lieues marines. Quinze jours plus
tard, à deux mille lieues de là l’Helvetia, de la
Compagnie Nationale, et le Shannon, du Royal-Mail,
marchant à contrebord dans cette portion de l’Atlantique comprise
entre les États-Unis et l’Europe, se signalèrent respectivement le
monstre par 42°15’de latitude nord, et 60°35’de longitude à l’ouest
du méridien de Greenwich. Dans cette observation simultanée, on
crut pouvoir évaluer la longueur minimum du mammifère à plus de
trois cent cinquante pieds anglais, puisque le Shannon et
l’Helvetia étaient de dimension inférieure à lui, bien
qu’ils mesurassent cent mètres de l’étrave à l’étambot. Or, les
plus vastes baleines, celles qui fréquentent les parages des îles
Aléoutiennes, le Kulammak et l’Umgullick, n’ont jamais dépassé la
longueur de cinquante-six mètres, — si même elles l’atteignent.
Ces rapports arrivés coup sur coup, de nouvelles observations
faites à bord du transatlantique le Pereire, un abordage
entre l’Etna, de la ligne Inman, et le monstre, un
procès-verbal dressé par les officiers de la frégate française la
Normandie, un très sérieux relèvement obtenu par
l’état-major du commodore Fitz-James à bord du Lord-Clyde,
émurent profondément l’opinion publique. Dans les pays d’humeur
légère, on plaisanta le phénomène, mais les pays graves et
pratiques, l’Angleterre, l’Amérique, l’Allemagne, s’en
préoccupèrent vivement.
Partout dans les grands centres, le monstre devint à la
mode ; on le chanta dans les cafés, on le bafoua dans les
journaux, on le joua sur les théâtres. Les canards eurent là une
belle occasion de pondre des œufs de toute couleur. On vit
réapparaître dans les journaux — à court de copie — tous les êtres
imaginaires et gigantesques, depuis la baleine blanche, le terrible
« Moby Dick » des régions hyperboréennes, jusqu’au Kraken démesuré,
dont les tentacules peuvent enlacer un bâtiment de cinq cents
tonneaux et l’entraîner dans les abîmes de l’Océan. On reproduisit
même les procès-verbaux des temps anciens les opinions d’Aristote
et de Pline, qui admettaient l’existence de ces monstres, puis les
récits norvégiens de l’évêque Pontoppidan, les relations de Paul
Heggede, et enfin les rapports de M. Harrington, dont la bonne foi
ne peut être soupçonnée, quand il affirme avoir vu, étant à bord du
Castillan, en 1857, cet énorme serpent qui n’avait jamais
fréquenté jusqu’alors que les mers de l’ancien
Constitutionnel.
Alors éclata l’interminable polémique des crédules et des
incrédules dans les sociétés savantes et les journaux
scientifiques. La « question du monstre » enflamma les esprits. Les
journalistes, qui font profession de science en lutte avec ceux qui
font profession d’esprit, versèrent des flots d’encre pendant cette
mémorable campagne ; quelques-uns même, deux ou trois gouttes
de sang, car du serpent de mer, ils en vinrent aux personnalités
les plus offensantes.
Six mois durant, la guerre se poursuivit avec des chances
diverses. Aux articles de fond de l’Institut géographique du
Brésil, de l’Académie royale des sciences de Berlin, de
l’Association Britannique, de l’Institution Smithsonnienne de
Washington, aux discussions du The Indian Archipelago, du
Cosmos de l’abbé Moigno, des Mittheilungen de
Petermann, aux chroniques scientifiques des grands journaux de la
France et de l’étranger, la petite presse ripostait avec une verve
intarissable.
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