Alice au pays des merveilles
Alice au pays des merveilles
Henri Bué, Lewis Carroll

Préface de l'éditeur
Quelques mots sur Henri Bué
Ses œuvres disponibles sur Affinibook:
Alice au pays des merveilles (2010 - Français)
Quelques mots sur Lewis Carroll
Ses œuvres disponibles sur Affinibook:
Alice au pays des merveilles (2010 - Français)
Chapitre I - Descente dans le terrier du lapin
Alice commençait à se sentir très lasse de rester assise à côté de sa sœur, sur le
talus, et de n’avoir rien à faire : une fois ou deux, elle avait jeté un
coup d’œil sur le livre que lisait sa sœur ; mais il ne contenait ni
images ni dialogues : « Et, pensait Alice, à quoi peut bien servir un
livre où il n’y a ni images ni dialogues ? »
Elle se demandait (dans la mesure où elle était capable de réfléchir, car elle se
sentait tout endormie et toute stupide à cause de la chaleur) si le plaisir de
tresser une guirlande de pâquerettes valait la peine de se lever et d’aller
cueillir les pâquerettes, lorsque, brusquement, un Lapin Blanc aux yeux roses
passa en courant tout près d’elle.
Ceci n’avait rien de particulièrement remarquable ; et Alice ne trouva pas non
plus tellement bizarre d’entendre le Lapin se dire à mi-voix : « Oh,
mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! Je vais être en retard ! »
(Lorsqu’elle y réfléchit par la suite, il lui vint à l’esprit qu’elle aurait dû
s’en étonner, mais, sur le moment, cela lui sembla tout naturel) ;
cependant, lorsque le Lapin tira bel et bien une montre de la poche de son
gilet, regarda l’heure, et se mit à courir de plus belle, Alice se dressa d’un
bond, car, tout à coup, l’idée lui était venue qu’elle n’avait jamais vu de
lapin pourvu d’une poche de gilet, ni d’une montre à tirer de cette poche.
Dévorée de curiosité, elle traversa le champ en courant à sa poursuite, et eut
la chance d’arriver juste à temps pour le voir s’enfoncer comme une flèche dans
un large terrier placé sous la haie.
Un instant plus tard, elle y pénétrait à son tour, sans se demander une seule fois comment
diable elle pourrait bien en sortir.
Le terrier était d’abord creusé horizontalement comme un tunnel, puis il présentait une
pente si brusque et si raide qu’Alice n’eut même pas le temps de songer à
s’arrêter avant de se sentir tomber dans un puits apparemment très profond.
Soit que le puits fût très profond, soit que Alice tombât très lentement, elle s’aperçut
qu’elle avait le temps, tout en descendant, de regarder autour d’elle et de se
demander ce qui allait se passer. D’abord, elle essaya de regarder en bas pour
voir où elle allait arriver, mais il faisait trop noir pour qu’elle pût rien
distinguer. Ensuite, elle examina les parois du puits, et remarqua qu’elles
étaient garnies de placards et d’étagères ; par endroits, des cartes de
géographie et des tableaux se trouvaient accrochés à des pitons. En passant,
elle prit un pot sur une étagère ; il portait une étiquette sur laquelle
on lisait : MARMELADE D’ORANGES, mais, à la grande déception d’Alice, il
était vide. Elle ne voulut pas le laisser tomber de peur de tuer quelqu’un et
elle s’arrangea pour le poser dans un placard devant lequel elle passait, tout
en tombant.
« Ma foi ! songea-t-elle,
après une chute pareille, cela me sera bien égal, quand je serai à la maison,
de dégringoler dans l’escalier ! Ce qu’on va me trouver courageuse !
Ma parole, même si je tombais du haut du toit, je n’en parlerais à
personne ! » (Supposition des plus vraisemblables, en effet.)
Plus bas,
encore plus bas, toujours plus bas. Est-ce que cette chute ne finirait
jamais ? « Je me demande combien de kilomètres j’ai pu
parcourir ? dit-elle à haute voix. Je ne dois pas être bien loin du centre
de la terre. Voyons : cela ferait une chute de six à sept mille
kilomètres, du moins je le crois… (car, voyez-vous, Alice avait appris en
classe pas mal de choses de ce genre, et, quoique le moment fût mal choisi pour
faire parade de ses connaissances puisqu’il n’y avait personne pour l’écouter,
c’était pourtant un bon exercice que de répéter tout cela)… Oui, cela doit être
la distance exacte… mais, par exemple, je me demande à quelle latitude et à
quelle longitude je me trouve ? » (Alice n’avait pas la moindre idée
de ce qu’était la latitude, pas plus d’ailleurs que la longitude, mais elle
jugeait que c’étaient de très jolis mots, impressionnants à prononcer.)
Bientôt, elle recommença : « Je me demande si je vais traverser la terre d’un
bout à l’autre ! Cela sera rudement drôle d’arriver au milieu de ces gens
qui marchent la tête en bas ! On les appelle les Antipattes,
je crois — (cette fois, elle fut tout heureuse de ce qu’il n’y eût personne
pour écouter, car il lui sembla que ce n’était pas du tout le mot qu’il
fallait) — mais, je serai alors obligée de leur demander quel est le nom du
pays, bien sûr. S’il vous plaît, madame, suis-je en Nouvelle-Zélande ou en
Australie ? (et elle essaya de faire la révérence tout en parlant —
imaginez ce que peut être la révérence pendant qu’on tombe dans le vide !
Croyez-vous que vous en seriez capable ? ) Et la dame pensera que je suis
une petite fille ignorante ! Non, il vaudra mieux ne rien demander ;
peut-être que je verrai le nom écrit quelque part. »
Plus bas, encore plus bas, toujours plus bas. Comme il n’y avait rien d’autre à faire,
Alice se remit bientôt à parler. « Je vais beaucoup manquer à Dinah ce
soir, j’en ai bien peur ! (Dinah était sa chatte.) J’espère qu’on pensera
à lui donner sa soucoupe de lait à l’heure du thé. Ma chère Dinah, comme je voudrais
t’avoir ici avec moi ! Il n’y a pas de souris dans l’air, je le crains
fort, mais tu pourrais attraper une chauve-souris, et cela, vois-tu, cela
ressemble beaucoup à une souris. Mais est-ce que les chats mangent les
chauves-souris ? Je me le demande. » A ce moment, Alice commença à se
sentir toute somnolente, et elle se mit à répéter, comme si elle rêvait :
« Est-ce que les chats mangent les chauves-souris ? Est-ce que les
chats mangent les chauves-souris ? » et parfois : « Est-ce
que les chauves-souris mangent les chats ? » car, voyez-vous, comme
elle était incapable de répondre à aucune des deux questions, peu importait
qu’elle posât l’une ou l’autre. Elle sentit qu’elle s’endormait pour de bon, et
elle venait de commencer à rêver qu’elle marchait avec Dinah, la main dans la
patte, en lui demandant très sérieusement : « Allons, Dinah, dis-moi
la vérité : as-tu jamais mangé une chauve-souris ? » quand,
brusquement, patatras ! elle atterrit sur un tas de branchages et de
feuilles mortes, et sa chute prit fin.
Alice ne s’était pas fait le moindre mal, et fut sur pied en un moment ; elle leva
les yeux, mais tout était noir au-dessus de sa tête. Devant elle s’étendait un
autre couloir où elle vit le Lapin Blanc en train de courir à toute vitesse. Il
n’y avait pas un instant à perdre : voilà notre Alice partie, rapide comme
le vent. Elle eut juste le temps d’entendre le Lapin dire, en tournant un
coin : « Par mes oreilles et mes moustaches, comme il se fait
tard ! » Elle tourna le coin à son tour, très peu de temps après lui,
mais, quand elle l’eut tourné, le Lapin avait disparu. Elle se trouvait à
présent dans une longue salle basse éclairée par une rangée de lampes
accrochées au plafond.
Il y avait plusieurs portes autour de la salle, mais elles étaient toutes fermées à
clé ; quand Alice eut marché d’abord dans un sens, puis dans l’autre, en
essayant de les ouvrir une par une, elle s’en alla tristement vers le milieu de
la pièce, en se demandant comment elle pourrait bien faire pour en sortir.
Brusquement, elle se trouva près d’une petite table à trois pieds, entièrement faite de
verre massif, sur laquelle il y avait une minuscule clé d’or, et Alice pensa
aussitôt que cette clé pouvait fort bien ouvrir l’une des portes de la salle.
Hélas ! soit que les serrures fussent trop larges, soit que la clé fût
trop petite, aucune porte ne voulut s’ouvrir. Néanmoins, la deuxième fois
qu’Alice fit le tour de la pièce, elle découvrit un rideau bas qu’elle n’avait
pas encore remarqué ; derrière ce rideau se trouvait une petite porte
haute de quarante centimètres environ : elle essaya d’introduire la petite
clé d’or dans la serrure, et elle fut ravie de constater qu’elle s’y adaptait
parfaitement !
Alice ouvrit la porte, et vit qu’elle donnait sur un petit couloir guère plus grand
qu’un trou à rat ; s’étant agenouillée, elle aperçut au bout du couloir le
jardin le plus adorable qu’on puisse imaginer. Comme elle désirait sortir de
cette pièce sombre, pour aller se promener au milieu des parterres de fleurs
aux couleurs éclatantes et des fraîches fontaines ! Mais elle ne pourrait
même pas faire passer sa tête par l’entrée ; « et même si ma tête
pouvait passer, se disait la pauvre Alice, cela ne me servirait pas à
grand-chose à cause de mes épaules. Oh ! que je voudrais pouvoir rentrer
en moi-même comme une longue-vue ! Je crois que j’y arriverais si je
savais seulement comment m’y prendre pour commencer. » Car, voyez-vous, il
venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que
fort peu de choses étaient vraiment impossibles.
Il semblait inutile de rester à attendre près de la petite porte ; c’est
pourquoi Alice revint vers la table, en espérant presque y trouver une autre
clé, ou, du moins, un livre contenant une recette pour faire rentrer les gens
en eux-mêmes, comme des longues-vues. Cette fois, elle y vit un petit flacon
(« il n’y était sûrement pas tout à l’heure, dit-elle »,) portant
autour du goulot une étiquette de papier sur laquelle étaient magnifiquement
imprimés en grosses lettres ces deux mots : « BOIS MOI ».
C’était très joli de dire : « Bois-moi », mais notre prudente petite
Alice n’allait pas se dépêcher d’obéir. « Non, je vais d’abord bien
regarder, pensa-t-elle, pour voir s’il y a le mot : poison ; »
car elle avait lu plusieurs petites histoires charmantes où il était question
d’enfants brûlés, ou dévorés par des bêtes féroces, ou victimes de plusieurs
autres mésaventures, tout cela uniquement parce qu’ils avaient refusé de se
rappeler les simples règles de conduite que leurs amis leur avaient
enseignées : par exemple, qu’un tisonnier chauffé au rouge vous brûle si
vous le tenez trop longtemps, ou que, si vous vous faites au doigt une coupure
très profonde avec un couteau, votre doigt, d’ordinaire, se met à
saigner ; et Alice n’avait jamais oublié que si l’on boit une bonne partie
du contenu d’une bouteille portant l’étiquette : poison, cela ne manque
presque jamais, tôt ou tard, de vous causer des ennuis.
Cependant,
ce flacon ne portant décidément pas l’étiquette : « poison », Alice
se hasarda à en goûter le contenu ; comme il lui parut fort agréable (en
fait, cela rappelait à la fois la tarte aux cerises, la crème renversée,
l’ananas, la dinde rôtie, le caramel, et les rôties chaudes bien beurrées),
elle l’avala séance tenante, jusqu’à la dernière goutte.
« Quelle
sensation bizarre ! dit Alice. Je dois être en train de rentrer en
moi-même, comme une longue-vue ! »
Et c’était
bien exact : elle ne mesurait plus que vingt-cinq centimètres. Son visage
s’éclaira à l’idée qu’elle avait maintenant exactement la taille qu’il fallait
pour franchir la petite porte et pénétrer dans l’adorable jardin. Néanmoins
elle attendit d’abord quelques minutes pour voir si elle allait diminuer
encore : elle se sentait un peu inquiète à ce sujet ; « car,
voyez-vous, pensait Alice, à la fin des fins je pourrais bien disparaître tout
à fait, comme une bougie. En ce cas, je me demande à quoi je
ressemblerais. » Et elle essaya d’imaginer à quoi ressemble la flamme
d’une bougie une fois que la bougie est éteinte, car elle n’arrivait pas à se
rappeler avoir jamais vu chose pareille.
Au bout
d’un moment, comme rien de nouveau ne s’était produit, elle décida d’aller
immédiatement dans le jardin. Hélas ! pauvre Alice ! dès qu’elle fut
arrivée à la porte, elle s’aperçut qu’elle avait oublié la petite clé d’or, et,
quand elle revint à la table pour s’en saisir, elle s’aperçut qu’il lui était
impossible de l’atteindre, quoiqu’elle pût la voir très nettement à travers le
verre. Elle essaya tant qu’elle put d’escalader un des pieds de la table, mais
il était trop glissant ; aussi, après s’être épuisée en efforts inutiles,
la pauvre petite s’assit et fondit en larmes.
« Allons !
cela ne sert à rien de pleurer comme cela ! » se dit-elle d’un ton
sévère. « Je te conseille de t’arrêter à l’instant ! » Elle
avait coutume de se donner de très bons conseils (quoiqu’elle ne les suivît
guère), et, parfois, elle se réprimandait si vertement que les larmes lui
venaient aux yeux.
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