Mais je ne cédai pas si facilement. Je me mis bien à parler, mais… évasivement… oui, malgré moi, j’imitai son débit verbeux et indifférent. Je fis comme si je ne la comprenais pas, car – je ne sais pas si vous pouvez saisir cela – je voulais la forcer à s’exprimer clairement ; je ne voulais pas lui faire des avances, mais… être prié… précisément, être prié par elle, qui se présentait avec tant d’arrogance… et aussi parce que je savais qu’avec les femmes, je ne cède jamais autant qu’en présence de cette orgueilleuse froideur.
« Je me mis donc à lui dire, avec force paroles inutiles, que ce n’était pas du tout grave, que de pareilles faiblesses faisaient partie du cours régulier des choses et qu’au contraire c’était presque la garantie d’une santé normale. Je citai des cas tirés des journaux de clinique… Je parlais, je parlais avec indolence et légèreté, considérant toujours le fait comme une banalité, et… j’attendais toujours qu’elle m’interrompît, car je savais qu’elle ne le supporterait pas.
« Elle me coupa vivement la parole en faisant un geste de la main, comme pour arrêter toutes ces paroles rassurantes.
« – Ce n’est pas cela qui m’inquiète, docteur. À l’époque, lorsque j’ai eu mon bébé, mon état de santé était meilleur… mais maintenant je ne suis plus all right… j’ai une affection cardiaque.
« – Ah ! des troubles cardiaques, répétai-je d’un ton d’inquiétude, il faut que je voie tout de suite.” Et je fis un mouvement comme si je voulais me lever et aller chercher le stéthoscope.
« Mais elle reprit brusquement – sa voix était maintenant tranchante et nette, comme au poste de commandement :
« – J’ai des troubles cardiaques, docteur, et je vous prie de croire ce que je vous dis. Je ne voudrais pas perdre du temps en examens. Vous pourriez, il me semble, avoir en moi plus de confiance. Pour ma part, du moins, j’ai assez témoigné ma confiance en vous.
« Maintenant c’était la lutte, c’était un défi déclaré. Je l’acceptai.
« – La confiance demande la franchise, une franchise sans réserve. Parlez clairement, je suis médecin. Et avant tout, ôtez votre voile, asseyez-vous, laissez les livres et les louvoiements. On ne vient pas voilée chez le médecin.
« Elle me regarda fièrement et droit dans les yeux. Elle eut un instant d’hésitation, puis elle s’assit et ôta le voile. Je vis une figure pareille à ce que je craignais. Une figure impénétrable, dure, contrainte, d’une beauté sans âge, une figure avec des yeux gris, comme en ont les Anglais, dans lesquels tout paraissait calme et derrière lesquels, cependant, on pouvait rêver toutes les passions.
Cette bouche mince et crispée ne laissait rien transparaître de ses secrets lorsqu’elle ne le voulait pas. Pendant une minute, nous nous regardâmes l’un l’autre, elle jetant sur moi un regard à la fois autoritaire et interrogateur, et avec une cruauté si froide et métallique que je ne pus le supporter et que, malgré moi, mes yeux se détournèrent.
« Elle frappa légèrement du doigt sur la table. Chez elle aussi, il y avait donc de la nervosité. Puis elle dit avec une brusque rapidité :
« – Docteur, savez-vous ce que j’attends de vous, ou ne le savez-vous pas ?
« – Je crois le savoir, mais il vaut mieux qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Vous voulez mettre fin à votre état… Vous voulez que je vous débarrasse de vos faiblesses, de vos nausées, en vous… en en supprimant la cause. Est-ce bien cela ?
« – Oui.
« Le mot tomba comme un couperet.
« – Savez-vous aussi que de pareilles tentatives sont dangereuses… pour les deux parties ?…
« – Oui.
« – Et que la loi me l’interdit ?
« – Il y a des cas où ce n’est pas interdit, où c’est même ordonné, au contraire.
« – Mais ces cas-là comportent une indication médicale.
« – Vous trouverez cette indication. Vous êtes médecin.
« En prononçant ces paroles, ses yeux me regardaient nettement, fixement, sans remuer. C’était un ordre. Et moi, faible que j’étais, je tremblais d’admiration devant la puissance démoniaque de sa volonté, mais je ne me courbais pas encore ; je ne voulais pas montrer que j’étais déjà vaincu. “Pas si vite, faisons des difficultés, forçons-la à nous supplier” – une espèce de désir voluptueux fulgura en moi.
« – Cela ne dépend pas toujours de la volonté du médecin. Mais je suis prêt, avec un de mes collègues de l’hôpital…
« – Je ne veux pas de votre collègue… C’est vous que je suis venue trouver.
« – Puis-je vous demander pourquoi moi, précisément ?
« Elle me regarda froidement.
« – Je n’ai aucun embarras à vous le dire. C’est parce que vous vivez retiré, parce que vous ne me connaissez pas, parce que vous êtes un bon médecin et parce que – c’était la première fois qu’elle hésitait – parce que vous ne resterez plus longtemps dans ce pays, surtout si vous… si vous pouvez rapporter chez vous une somme importante.
« Ces paroles me glacèrent. Je fus stupéfié de cette froideur mercantile, de cette netteté de calcul. Jusqu’alors ses lèvres ne s’étaient pas ouvertes pour en faire sortir une prière ; au contraire ! et depuis longtemps tout était pesé ; elle m’avait d’abord épié, pour foncer ensuite droit sur moi. Je me sentais saisi par le diabolique de cette volonté, mais je me défendais avec toute mon exaspération. Une fois encore, je me contraignis à rester positif et même presque ironique.
« – Et cette somme importante, vous… vous la mettriez à ma disposition ?
« – Oui, pour votre concours et votre départ immédiat.
« – Savez-vous qu’ainsi je perds ma pension ?
« – Je vous indemniserai.
« – Vous êtes très précise… Mais je voudrais encore plus de précision.
1 comment