Ah ! qu’à mes yeux encore fatigués l’ombre des palmes était calmante ! Douceur des ombres claires, murmures des jardins, parfums, je reconnais tout, arbres, choses… le seul méconnaissable, c’est moi.

 

Ce jardin de la cour de l’hôtel, ce jardin que j’ai vu planter, est déjà feuillu, touffu, compliqué. Il s’assombrit d’ombrage et de mystère…

Qu’il ferait bon, s’il n’était pas tant de pauvres sur la terre, y deviser sans bruit, avec quelques amis, ce matin.

 

Auprès de ce moulin, si bas que quelques figuiers bas le cachaient presque, nous aimions venir nous asseoir. Y a-t-il dix ans de cela ?… Un petit âne gris apportait le blé, et remportait la farine. Non loin, une tente de nomades dont nous avions apprivoisé les enfants et le chien. P. L. peignait, et le petit Ahmed nous apportait des œufs, puis s’asseyait près de moi sans rien dire.

On a détourné de ce lieu charmant la rivière ; en sortant du moulin elle coulait au pied de ce gommier qui, privé d’eau maintenant s’étiole… Son ombre était parfaite… Quel démon me ramène ici ?

 

Extrémité de l’Oasis,

au-delà de Guedesha.

De ce côté le désert est informe. Vers l’horizon, il semble se relever en cuvette. Le sol est sablonneux, cendreux ; je ne sais quelle végétation sans verdeur fait, au loin, l’aspect grumeleux et dartreux de ce sol. Le sable sous le soleil miroite. Une sorte de constant mirage brouille les plans ; on ne peut situer aucun objet à sa distance – et d’ailleurs on ne voit, jusqu’au bord du ciel, aucun objet. À droite, un avancement du Djebel qui se prolonge vers Tolga ; la roche crève le revêtement de sable par endroits ; vu de loin on dirait un eczéma…

Je sais pourtant que lorsqu’on s’en approche, ce sable délicat est si charmant aux yeux qu’on ne peut se lasser de regarder sur lui descendre l’ombre, et si plaisant aux pieds que, m’étant déchaussé, je me souviens d’avoir gravi pieds nus toute la dune… Il y a dix ans de cela. J’étais avec Mohammed et Bachir. Un serpent, inoffensif me dirent-ils, mais terriblement long, partit comme un fouet et presque entre mes jambes… Je me souviens de celui que j’étais…

 

Du haut de la terrasse la plus haute.

Vendredi.

L’obscurité se fait lentement sur Biskra. Est-ce déjà le soir qui tombe ? ou ce nuage affreux qui s’épaissit ? Il tapisse le ciel d’un bord à l’autre. Il vient des gouffres du désert, d’au-delà de Touggourt, de Ouargla, du fond de la profonde Afrique ; peut-être l’ont gonflé les vapeurs des Grands-Lacs ; il est plein de menace et d’horreur ; il est jaune. Il ne ressemble pas à ceux de nos pays ; je voudrais le nommer autrement que « nuage ». Il traîne à terre, au-delà des palmiers ; il cache à mes yeux la montagne. Il est clair ; il est gris sableux ; il est égal partout comme un manteau, et qu’au zénith aurait à peine un peu clairci l’usure. Le mur blanc des maisons devient livide, et le rose des tuiles cendreux. Je songe aux djinns…

Le coup de canon marquant la fin du jeûne retentit.

 

Samedi.

La nue, ainsi qu’une étoffe trop mûre, au ras de l’horizon a cédé. Est-ce par cette déchirure azurée que le vent, ce matin, souffle avec tant d’opiniâtre abondance ? Le sable aveugle ; on est transi ; contre ce vent ni manteau ni burnous ne protègent. Le soleil, derrière la nuée, transparaît, argenté, plat et comme une médaille usée.

Je projetais d’aller me baigner ce matin à la morne Fontaine-Chaude. Mais, par un tel temps, à travers le désert – c’est pour mourir de froid et d’étouffement et d’horreur…

Allons.

 

Ô détresse ! ô désolation ! – Je m’assois, abrité du vent par un effondrement d’argile, de sable et de pierres, près du bord délabré d’un lac terne où l’eau croupit sous les épais roseaux. Et si du moins, paissant ses maigres chèvres, venait s’asseoir ici quelque berger musicien… Je suis seul. Je cherche en moi par quel excès de vie trouver, dans la contemplation de tant de désolation, des délices, et peupler de frémissements tant de mort. – Je reste là. Le vent agite les roseaux. Un soleil incertain s’essaye à sourire au désert, et, comme un fard sur de la mort, s’argentent des effritements de sel.

 

J’aurais voulu monter dans ce sentier de la montagne, où les pas seuls ont fait la blanchissante usure du rocher. On le voit, fuyant, qui s’élève jusqu’au col et pour aller vers où ? – Un vent insupportablement froid m’en empêche ; et rentrant au Hammam je prends un bain brûlant.

 

Chez le Cadi.

La petite salle ouvre de plain-pied sur la rue ; des chameaux passent.