Née du sentiment de l’exil, il subsiste au travers du travail une sorte d’éveil constant, d’exaltation insoucieuse, par où l’esprit reste attentif, prêt à l’effort, apte aux compréhensions les plus hardies et ne perdant pas un instant le sentiment du prix de l’heure.
Je ne dis pas cela contre Barrès, mais je le pense bien malgré lui.
Rome, du Monte Pincio.
Fin janvier.
Ces toits sont beaux. Le soleil déclinant, qu’un nuage étroit cache pour un instant à ma vue, cependant les éclaire. Il a plu ; des profondeurs des rues monte une brume ; du Janicule une vapeur descend. Me penchant sur la balustrade, accoudé comme Polymnie, dans l’attitude qui fait dire au passant : « C’est un rêveur », je ne rêve point ; je regarde. Les toits plats, qu’a glacés l’averse, luisent. Dans l’humide atmosphère du soir se fond le chaos des maisons ; les rues y semblent des rivières ; les places, des lacs. Et s’élevant dans la lumière, dômes et campaniles… Non, je ne rêve pas. Et à quoi rêverais-je ? Pourquoi, devant cette réalité, fermerais-je les yeux pour rêver ?
Paris, février.
Je n’ai pas grand plaisir à revoir les autres ; et je sens qu’ils le sentent trop.
Pourquoi me laisser aller à parler devant T*** de voyage ? Certes, tout ce que je rapporte de là-bas il le comprend…
Il n’en a pas la gourmandise.
Cuverville, juillet.
Je relis aujourd’hui mes notes de voyage. Pour qui les publier ? – Elles seront comme ces sécrétions résineuses, qui ne consentent à livrer leur parfum qu’échauffées par la main qui les tient.
Cuverville, août.
J’aime l’été parfait, robuste, la violente paix du soleil. J’aime cette heure de midi, quand, aux chants aigus du matin, succède un accablement sur la plaine, que sur les champs fauchés l’air vibre et que dans le sillon brûlant le mauviard étend ses ailes. Dans le bois étouffant j’ai marché, respirant l’odeur des fougères, jusqu’au bord du bois, jusqu’au soir.
J’aime l’odeur du soir charmant, l’ombre des meules, cette brume de mer qui, dans notre pays, souvent monte à l’heure où le soleil se couche, qui s’épand, humecte la plaine, et, dès avant la nuit, verse dans l’air le réconfort avec une fraîcheur subite.
Que souhaiter encore, cœur exigeant, cœur inlassable ?
… Par ces chaudes journées je songe à l’essor des nomades ; ah ! pouvoir à la fois demeurer ici, fuir ailleurs ! ah ! s’évaporer, se défaire, et qu’un souffle d’azur, où je serais dissous, voyageât… !
Cette nuit, sitôt remonté dans ma chambre, j’entendis par ma fenêtre ouverte les cris des aouteux, non loin, qui, la moisson finie, regagnaient enfin leur village. Dans un char, femmes et enfants, à demi couchés dans la paille ; les hommes escortent à pied. Tous sont soûls. Leurs chants ne sont que beuglements épais. Parfois un beuglement plus fort : celui de la conque marine, seul instrument dont ils sachent jouer. Que de fois, ces autres années, entendant ces cris dans la plaine, et qui sonnaient pour moi comme un appel, j’ai couru… que de fois ! Est-ce là tout ce que peut donner leur ivresse ? Ces gens sont laids et leurs dieux sont informes. Ah ! que de fois, après avoir couru vers eux, m’en suis-je retourné dégoûté, pleurant presque…
Cette nuit, de nouveau, ces chants m’attirent.
Fin septembre.
L’eau de l’oued{13} était si tiède que c’était un délice que de s’y baigner. À peine, en y plongeant, d’abord la sentait-on moins brûlante que l’air ; mais sa chaleur était égale et vous devenait douce bientôt ; puis, quand on en sortait, l’air, sur la peau mouillée, semblait frais. Puis nous nous replongions. Puis nous nous étendions au soleil ; puis dans l’ombre ; elle rafraîchissait comme les soirs. – Ô vêtements béants des Arabes ! –
Compagnon ! Compagnon ! – Camarade ! Dans l’automne de Normandie je rêve au printemps du désert.
Palmes chuchotantes au vent ! Amandiers bruissants d’abeilles ! Souffles chauds ! goût sucré de l’air !…
La rafale du Nord bat ma vitre. Il pleut depuis trois jours. – Oh ! que les caravanes étaient belles, quand, le soir, à Touggourt, le soleil se couchait dans le sel.
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Juillet 2008
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{1} Séghia : canal d’irrigation. (Note du correcteur – ELG.)
{2} Caracous : (karakous) fêtes, spectacles de danses pendant le ramadan. (Note du correcteur – ELG.)
{3} Halfaouïne : Quartier de Tunis. (Note du correcteur – ELG.)
{4} Gandourah (gandoura) : longue tunique sans manches. (Note du correcteur – ELG.)
{5} Bab : porte. (Note du correcteur – ELG.)
{6} Ouled ou Oulad : souvent synonyme de « danseuses-prostituées », originaires des Ouled Naïl, ou tribu des awlad Sidi Naïl située dans les Hauts Plateaux du Sud algérien.
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