Il lui reste ensuite à conquérir un monde et à se faire aimer d’une princesse lointaine ou captive. Autour du conquérant emporté par un torrent d’événements, se déroule un décor lui aussi en proie à un délire halluciné, dans lequel passent la somptuosité byzantine et la rusticité lacustre.

Les thèmes héroïques varient peu. Le plus commun est la guerre qui agite une planète étrange, et s’élargit rarement jusqu’à un conflit interplanétaire (Lune-Terre, comme dans L’ÉPERVIER ROUGE). La planète étrange reproduit souvent l’épisode médiéval de l’histoire terrestre, agrémenté de monstres resurgis des manuels de paléontologie et des contes de fées. Burroughs a fort peu représenté l’avenir, sauf dans le troisième volet du cycle lunaire, ou dans un texte peu connu, BEYOND THIRTY, qui dépeint l’Amérique coupée d’une Europe revêtue d’une jungle barbare et dépeuplée.

À dire vrai, les récits de Burroughs, par certains de leurs aspects, relèvent davantage du merveilleux et du fantastique que de la S.F. orthodoxe dans son aboutissement moderne. Ses personnages monolithiques, sans inquiétude et sans nuances, se prouvent dans l’action et ne servent chez l’auteur aucun dessein de remettre en cause les structures de l’imaginaire ni de proposer sous le voile de l’anticipation une logique nouvelle ou une métaphysique différente. Sous la plume de Burroughs, la S.F. se pare d’un charme qu’elle a peu souvent atteint, fait d’émois naïfs, de couleurs vives, et de coups de théâtre enrobés dans le style frénétique du roman feuilleton. C’est, au fond, du roman feuilleton transposé à l’échelle cosmique. Il vise moins à troubler le raisonnement du lecteur qu’à le faire frémir. Non pas que Burroughs soit fermé à l’inquiétude et qu’il refuse de prendre part au jeu de hasard des hypothèses. Mais les références à l’occultisme, en particulier à la doctrine spirite, côtoient les thèses évolutionnistes de Darwin démontrant que, renonçant à l’engagement philosophique d’un Wells, il utilise les unes et les autres comme de simples ressorts dramatiques.

Par ailleurs, il serait profondément injuste de ne célébrer en Burroughs qu’un tâcheron habile du space-opera. Des éclairs d’une poésie surréelle illuminent ses fresques colorées et tumultueuses. De cette réunion hétéroclite et baroque de gladiateurs d’ébène, de princesses diaphanes, de palais somptueux ou rupestres, de monstres en formes d’objets surréalistes, monte l’ivresse des mélanges, ivresse qui grise aussi bien le lecteur que le héros.

L’attrait majeur de Burroughs est donc cette allure de chevauchée délirante qu’adopte son imagination débridée. Le meilleur exemple en est fourni par PELLUCIDAR, chronique en sept volumes d’un monde concave situé sous l’écorce de cette boule creuse qu’est la Terre. À Pellucidar répète sans cesse l’auteur, le temps n’existe pas. En réalité, c’est la nuit qui est inconnue dans ce monde au centre duquel un soleil, que rien n’occulte, prodigue une lumière éternelle. Tout au long d’années impossibles à dénombrer, un fil de cuivre, aboutissant au pied d’un palmier du Sahara, informera le monde convexe des efforts de David Innes pour arracher l’espèce humaine souterraine à la barbarie, et la fédérer contre la race de dragons ailés qui l’opprime et l’utilise à d’horribles expériences scientifiques. Et comme toujours, au bout du compte, un royaume à conquérir et le cœur d’une princesse à gagner. Tâche exaltante et difficile qui nécessitera dans le quatrième volume, l’intervention de Tarzan et de ses guerriers Waziris. Odyssée chatoyante et tumultueuse qu’un abîme sépare de la périlleuse, insolite, mais très sage expédition scientifique entreprise dans les entrailles du globe par les héros de Jules Verne.

En délivrant la science-fiction des préoccupations éducatrices de Jules Verne, des laborieuses explications de l’anticipation scientifique, ou des généreux engagements idéologiques de Wells, Burroughs a préparé le triomphe et la modernisation d’un genre rendu à lui-même, à l’imaginaire, à la poésie.


[1] Paru en 1939 dans « Robinson » sous le titre Le chevalier de la forêt.

[2] Depuis 1963, les responsables de la société sont les trois enfants de Burroughs. Son fils cadet, John Coleman, est président, sa fille Mrs. Joan Pierce, vice-présidente. Le secrétaire-trésorier et directeur général est l’aîné, Hulbert Burroughs.

[3] Paru en 1936 dans « Le Journal de Mickey » sous le titre : Roi malgré lui.

bibliographie

 

DES ŒUVRES DE SCIENCE-FICTION
D’EDGAR RICE BURROUGHS

 

À quelques exceptions près, les œuvres de Burroughs, avant de paraître en volume, ont fait l’objet de feuilletons aux titres différents de la première édition en librairie.

Ce sont les dates et titres de celle-ci que nous avons retenus, en invitant le lecteur avide de plus de précisions à se reporter à la monumentale compilation de Henry H. Heins : A golden anniversary bibliography of Edgar Rice Burroughs. Rhode Island, Donald M. Grant 1964.

 

PELLUCIDAR

1922

AT THE EARTH’S CORE (MC CLURG AND CO. CHICAGO).

— Au cœur de la Terre. Feuilleton in « Le Journal de Mickey » du 17 octobre 1937 au 27 février 1938. Illustrations de Marguerite Fiora.

— (id) Feuilleton in « Story » (hebdomadaire belge) du 27 décembre 1946 au 4 juillet 1947.

1923

PELLUCIDAR (id.).

— Pellucidar. Feuilleton in « Le Journal de Mickey » du 6 mars au 28 août 1938. Illustrations de Fiora.

— (id.) Feuilleton in « Story » (id.) du 2 avril au 10 septembre 1948.

1930

TANAR OF PELLUCIDAR (METROPOLITAN BOOKS INC.