Je n’y pensais plus. Mais nous restons quand même en avance de cent livres...

— Non ?

Et Callaghan raconta à Nikolls comment le Cubain lui avait remis deux billets de cinquante livres.

— La vie est tout de même marrante ! s’écria Nikolls. Dire qu’il y a dans Londres des gars qui se baladent en distribuant des billets de cinquante livres pour qu’on leur démolisse le portrait !

Il finit son verre, battit la charge sur le comptoir pour attirer l’attention du barman et en demanda un autre.

— Probable, dit-il ensuite, qu’il se figurait avoir affaire à quelqu’un d’autre !

Callaghan secoua la tête.

— Je l’ai cru, mais je ne le crois plus. Pour moi, dans son esprit, ces cent livres, c’est une indemnité.

— Pourquoi ?

— Cette largesse inattendue, il n’y a qu’un moyen de l’expliquer. Le type nous suit, Doria et moi, quand nous quittons la boîte de Ferdie, il me voit rentrer chez moi avec elle. Il n’a qu’à regarder sur la grande plaque de marbre qui est dans le hall pour savoir qui je suis.

Nikolls donna son accord par un grognement et dit :

— Compris !... Il en conclut que miss Varette est venue te consulter, ça ne lui plaît pas et il décide de lui parler au plus tôt. Il saute dans sa voiture et va l’attendre chez elle. C’est ça ?

— C’est ça !

— Il voit votre taxi arriver. Il sait que c’est miss Varette qui rentre parce que la voiture s’arrête presque devant l’impasse, mais il ignore que tu es avec elle. Il fait très noir et il se trouve qu’il ne te repère pas. C’est toujours ça ?

— Toujours, Windy. Tu es en progrès...

— C’est-à-dire que je suis tout simplement épatant ! Je continue. Donc, il ne te voit pas, parce qu’il fait noir et aussi parce que sa voiture est garée assez loin et de l’autre côté de la rue. Il laisse le taxi repartir, il attend un peu, puis il va chez Doria, histoire de lui demander ce qu’elle est allée fabriquer à l’agence Callaghan. Elle le connaît et elle ne l’aime pas. Elle le fiche à la porte et il n’insiste pas.

— Au moment de sortir de l’impasse, je lui tombe dessus et il comprend qu’il est coincé. Il sait que je suis Callaghan. Il se dit que miss Varette m’a parlé et qu’il faut prendre un parti rapidement. Il se décide, m’invite à m’occuper de mes affaires et, pour que ce soit bien entendu, il me donne cent livres.

— Quel crétin !

— Je n’en suis pas tellement sûr.

Nikolls vida son verre avec placidité.

— Le plus clair du coup, c’est que nous prenons un gentil départ. Nous avons miss Varette, qui est une jolie fille, avec une belle voix et tout ce qu’on peut souhaiter, qui te doit toujours deux cents livres. Et nous avons ce Cubain, qui est peut-être un Brésilien ou un Chilien, mais qui est toujours dans la course. Celui-là, il ne te doit rien, excepté peut-être sa main sur la figure. Au total, on va bien...

— D’autant que tu oublies Mme Wilbery !

— C’est vrai, il faut la porter en compte, elle aussi. Et peut-être qu’il faudra ajouter Léonore à la liste !... Continuons et nous pourrons bientôt former une équipe de base-ball avec les clients !

— A propos de Léonore, à quelle heure t’a-t-on dit qu’elle rentrerait chez elle ?

Nikolls consulta sa montre.

— A sept heures et demie... et il est huit heures ! Comme détectives, nous sommes au-dessous de tout ! Voilà que nous laissons la clientèle nous filer entre les doigts !

Ricanant, il ajouta :

— Après tout, peut-être qu’elle est bonne pour cent livres, elle aussi !

— Windy, tu es saoul. Va au téléphone et renseigne-toi !

Nikolls se laissa glisser de son haut tabouret et descendit au rez-de-chaussée. Callaghan, devant son verre vide, se disait qu’il buvait trop de whisky. Il se commanda un grand rhum.

Cinq minutes plus tard, Nikolls revenait.

— Miss Wilbery est sortie.