Et plus que ça ; permettez-moi de vous observer, madame, que, comme vous ne mettez pas de la viande de premier choix dans vos saucisses, vous pourriez bien trouver du bœuf aussi bon marché que des boutons. – Des boutons ? monsieur, dit-elle. – Des boutons, madame, dit l'autre en déployant un morceau de papier et lui montrant vingt ou trente moitiés de boutons. Voilà un joli assaisonnement pour des saucisses, madame ; des boutons de culotte. – Saperlotte ! s'écrie la veuve en se trouvant mal, c'est les boutons de mon mari ! » Là-dessus, voilà le vieux petit gentleman qui devient blanc comme du saindoux. « Je vois ce que c'est, dit la veuve ; dans un moment d'impatience, il s'est bêtement converti en saucisses ! » Et c'était vrai, monsieur, poursuivit Sam en regardant en face le visage plein d'horreur de M. Pickwick, c'était vrai. Ou bien, peut-être qu'il avait été pris dans la machine. Mais, en tout cas, le petit vieux gentleman, qui avait toujours adoré les saucisses, se sauva de la boutique comme un fou, et on n'en a jamais plus entendu parler depuis ! »

La relation de cette touchante tragédie domestique amena le maître et le valet au cabinet de M. Perker. M. Lowten, tenant la porte à moitié ouverte, était en conversation avec un homme dont l'air et les vêtements paraissaient également misérables. Ses bottes étaient sans talons, et ses gants sans doigts. On voyait des traces de souffrances, de privations, presque de désespoir sur sa figure maigre et creusée par les soucis. Il avait la conscience de sa pauvreté, car il se rangea sur le côté obscur de l'escalier, lorsque M. Pickwick approcha.

« C'est bien malheureux, disait l'étranger avec un soupir.

– Effectivement, répondit Lowten, en griffonnant son nom sur la porte, et en l'effaçant avec la barbe de sa plume. Voulez-vous lui faire dire quelque chose ?

– Quand pensez-vous qu'il reviendra ?

– Je n'en sais rien du tout, répliqua Lowten, en clignant de l'œil à M. Pickwick, pendant que l'étranger abaissait ses regards vers le plancher.

– Ce n'est donc pas la peine de l'attendre ? demanda le pauvre homme, en regardant d'un air d'envie dans le bureau.

– Oh ! non, rétorqua le clerc en se plaçant plus exactement au centre de la porte. Il est bien certain qu'il ne reviendra pas cette semaine… et c'est bien du hasard si nous le voyons la semaine d'après. Quand une fois Perker est hors de la ville, il ne se presse pas d'y revenir.

– Hors de la ville ! s'écria M. Pickwick, juste ciel ! que c'est malheureux !

– Ne vous en allez pas, monsieur Pickwick, dit Lowten ; J'ai une lettre pour vous. »

L'étranger parut hésiter. Il contempla de nouveau le plancher ; et le clerc fit un signe du coin de l'œil à M. Pickwick, comme pour lui faire entendre qu'il y avait sous jeu une excellente plaisanterie : mais, ce que c'était, le philosophe n'aurait pas pu le deviner, quand il se serait agi de sa vie.

« Entrez, monsieur Pickwick, dit Lowten. Eh bien ! monsieur Watty, voulez-vous me donner un message, ou bien revenir ?

– Priez-le de laisser un mot pour m'apprendre où en est mon affaire, répondit le malheureux Watty. Pour l'amour de Dieu ! ne l'oubliez pas, monsieur Lowten.

– Non, non, je ne l'oublierai pas, répliqua le clerc. – Entrez, monsieur Pickwick. – Bonjour, monsieur Watty… un joli temps pour se promener, n'est-ce pas ? » Ayant ainsi parlé, et voyant que l'étranger hésitait encore, il fit signe à Sam de suivre son maître dans l'appartement, et ferma la porte au nez du pauvre diable.

« Je crois qu'on n'a jamais vu un si insupportable banqueroutier depuis le commencement du monde ! s'écria Lowten, en jetant sa plume sur la table, avec toute la mauvaise humeur d'un homme outragé. Il n'y a pas encore quatre ans que son affaire est devant la cour de la chancellerie, et je veux être damné s'il ne vient pas nous ennuyer deux fois par semaine. Il fait un peu froid, pourtant, pour perdre son temps debout, à la porte, avec de misérables râpés comme cela. »

En proférant ces expressions de dépit, Lowten attisait un feu remarquablement grand avec un tisonnier remarquablement petit ; puis il ajouta : « Entrez par ici, monsieur Pickwick. Perker y est : je sais qu'il vous recevra volontiers. »

« Ah ! mon cher monsieur, dit le petit avoué en s'empressant de se lever, lorsque M. Pickwick lui fut annoncé. Et bien ! mon cher monsieur, quelles nouvelles de votre affaire ? Eh ! vous avez entendu parler de nos amis de Freeman's Court ? Ils ne se sont pas endormis ; je sais cela. Ah ! ce sont des gaillards bien madrés, bien madrés, en vérité. »

En concluant cet éloge, M. Perker prit une prise de tabac emphatique, comme un tribut à la madrerie de MM. Dodson et Fogg.

« Ce sont de fameux coquins ! dit M. Pickwick.

– Oui, oui, reprit le petit homme. C'est une affaire d'opinion, comme vous savez, et nous ne disputerons pas sur des mots. Il est tout simple que vous ne considériez pas ces choses là d'un point de vue professionnel. Du reste, nous avons fait tout ce qui était nécessaire. J'ai retenu maître Snubbin.

– Est-ce un habile avocat ? demanda M. Pickwick.

– Habile ! Bon Dieu, quelle question m'adressez-vous là, mon cher monsieur ; mais maître Snubbin est à la tête de sa profession. Il a trois fois plus d'affaires que les meilleurs avocats : il est engagé dans tous les procès de ce genre.