Snodgrass hésita; mais son héroïsme fut invincible. «Dans la cause de l'amitié, s'écria-t-il avec ferveur, je braverai tous les dangers.»

Dieu sait combien notre duelliste maudit intérieurement le dévouement de son ami. Ils marchèrent pendant quelque temps en silence, ensevelis tous les deux dans leurs méditations. La matinée s'écoulait et M. Winkle sentait s'enfuir toute chance de salut.

«Snodgrass, dit-il en s'arrêtant tout d'un coup, n'allez point me trahir auprès des autorités locales; ne demandez point des constables pour prévenir le duel; ne vous assurez pas de ma personne, ou de celle du docteur Slammer, du 97e, actuellement en garnison dans la caserne de Chatham. Afin d'empêcher le duel, n'ayez point cette prudence, je vous en prie.»

M. Snodgrass saisit avec chaleur la main de son compagnon et s'écria, plein d'enthousiasme: «Non! pour rien au monde.»

Un frisson parcourut le corps de M. Winkle quand il vit qu'il n'avait rien à espérer des craintes de son ami, et qu'il était irrévocablement destiné à devenir une cible vivante.

Lorsqu'il eut raconté formellement à M. Snodgrass les détails de son affaire, ils entrèrent tous deux chez un armurier; ils louèrent une boîte de ces pistolets qui sont destinés à donner et à obtenir satisfaction, ils y joignirent un assortiment satisfaisant de poudre, de capsules et de balles; puis ils retournèrent à leur auberge, M. Winkle pour réfléchir sur la lutte qu'il avait à soutenir; M. Snodgrass pour arranger les armes de guerre, et les mettre en état de servir immédiatement.

Lorsqu'ils sortirent de nouveau pour leur désagréable entreprise, le soir s'approchait, triste et pesant. M. Winkle, de peur d'être observé, s'était enveloppé dans un large manteau: M. Snodgrass portait sous le sien les instruments de destruction.

«Avez-vous pris tout ce qu'il faut? demanda M. Winkle, d'un ton agité.

—Tout ce qu'il faut. Quantité de munitions, dans le cas où les premiers coups n'auraient point de résultats. Il y a un quarteron de poudre dans la botte, et j'ai deux journaux dans ma poche pour servir de bourre.»

C'étaient là des preuves d'amitié dont il était impossible de n'être point reconnaissant. Il est probable que la gratitude de M. Winkle fut trop vive pour qu'il pût l'exprimer, car il ne dit rien, mais il continua de marcher, assez lentement.

«Nous arrivons juste à l'heure, dit M. Snodgrass en franchissant la haie du premier champ; voilà le soleil qui descend derrière l'horizon.»

M. Winkle regarda le disque qui s'abaissait, et il pensa douloureusement aux chances qu'il courait de ne jamais le revoir.

«Voici l'officier, s'écria-t-il au bout de quelque temps.

—Où? dit M. Snodgrass.

—Là. Ce gentleman en manteau bleu.»

Les yeux de M. Snodgrass suivirent le doigt de son compagnon, et aperçurent une longue figure drapée, qui fit un léger signe de la main, et continua de marcher. Nos deux amis s'avancèrent silencieusement à sa suite.

De moment en moment la soirée devenait plus sombre. Un vent mélancolique retentissait dans les champs déserts: on eût dit le sifflement lointain d'un géant, appelant son chien. La tristesse de cette scène communiquait une teinte lugubre à l'âme de M. Winkle. En passant l'angle du fossé, il tressaillit, il avait cru voir une tombe colossale.

L'officier quitta tout à coup le sentier, et après avoir escaladé une palissade et enjambé une haie, il entra dans un champ écarté. Deux messieurs l'y attendaient.