Damné garçon, il est encore à dormir. Joe! Joe! Plusieurs coups de canne administrés sur la tête du dormeur le tirèrent enfin de sa léthargie. Allons passez-nous les comestibles.»

Il y avait quelque chose, dans le son de ce dernier mot, qui réveilla entièrement le gros dormeur. Il tressaillit, et ses yeux plombés, à moitié cachés par ses joues bouffies, lorgnèrent amoureusement les comestibles à mesure qu'il les déballait.

«Allons, dépêchons,» dit H. Wardle, car le gros joufflu dévorait du regard un chapon, dont il paraissait ne pas pouvoir se séparer. Il soupira profondément, jeta un coup d'œil désespéré sur la volaille dodue, et la remit tristement à son maître.

«Bon! Un peu de vivacité! Maintenant la langue. Maintenant le pâté de pigeons! Prenez garde au veau et au jambon. Attention aux écrevisses. Otez la salade de la serviette. Passez-moi l'assaisonnement.» Tout en donnant ces ordres précipités, M. Wardle distribuait dans l'intérieur de la voiture les articles qu'il nommait, et plaçait des plats sans nombre dans les mains et sur les genoux de chacun.

Lorsque l'œuvre de destruction fut commencée, le joyeux hôte demanda à ses convives: «Eh bien! n'est-ce pas délicieux?

—Délicieux! répondit M. Winkle, qui découpait une volaille sur le siége.

—Un verre de vin?

—Avec le plus grand plaisir.

—Ne feriez-vous pas mieux d'avoir une bouteille pour vous, là-haut?

—Tous êtes bien bon.

—Joe!

—Oui, monsieur. (Il n'était point endormi, cette fois, étant parvenu à soustraire un petit pâté de veau.)

—Une bouteille de vin au gentleman sur le siége. Je suis charmé de vous voir, monsieur.

—Bien obligé, répondit M. Winkle, en plaçant la bouteille à côté de lui.

—Voulez-vous me permettre de prendre un verre de vin avec vous? dit M. Trundle à M. Winkle.

—Avec grand plaisir,» repartit celui-ci; et les deux gentlemen prirent du vin ensemble; et tous les assistants, même les dames, suivirent leur judicieux exemple.

«Comme notre chère Émily coquette avec ce jeune homme, observa tout bas à M. Wardle la tante demoiselle, avec toute l'envie convenable à une tante demoiselle.

—Bah! répliqua le brave homme de père. Ça n'a rien d'extraordinaire. C'est fort naturel. M. Pickwick, un verre de vin?»

M. Pickwick, interrompant pour un instant les profondes recherches qu'il faisait dans l'intérieur du pâté de pigeons, accepta en rendant grâce.

«Émily, ma chère, dit la tante demoiselle avec un air de chaperon; ne parlez pas si haut, mon amour.

—Plaît-il, ma tante?

—Il paraît que ma tante et le vieux petit monsieur voudraient qu'il n'y en eût que peur eux, chuchota miss Isabella Wardle à sa sœur Émily. Puis les deux jeunes demoiselles se mirent à rire de tout leur cœur, et la vieille demoiselle s'efforça de prendre une physionomie aimable, mais elle ne put en venir à bout.

«Les jeunes filles ont tant de gaieté! observa-t-elle à M. Tupman avec un air de tendre commisération, comme si la gaieté eût été marchandise de contrebande, et comme si c'eût été un crime que d'en porter sur soi sans avoir un laissez-passer; mais M. Tupman ne fit pas exactement la réponse désirée.

—Vous avez bien raison, dit-il; c'est tout à fait charmant!

—Hem! fit miss Wardle d'un ton dubitatif.

—Voulez-vous me permettre, reprit M. Tupman, de la manière la plus insinuante, en touchant de la main gauche le poignet de la séduisante Rachel, tandis que de la main droite il levait tout doucement une bouteille. Voulez-vous me permettre?...

—Oh! monsieur!»

M. Tupman prit un air encore plus persuasif, et miss Rachel exprima la crainte qu'on ne tirât encore des coups de canon, ce qui aurait naturellement obligé son cavalier à la soutenir.

«Trouvez-vous mes nièces jolies? murmura ensuite la tante affectueuse à l'oreille de M. Tupman.

—Je les trouverais jolies si leur tante n'était pas ici, répondit le galant pickwickien, avec un regard passionné.

—Oh! le méchant homme! Mais réellement, si elles avaient un peu de fraîcheur, ne trouvez-vous pas qu'elles feraient de l'effet....