Tout le monde en riait régulièrement à chaque tour, et quand la vieille lady avait l'air vexé de payer, on riait encore plus fort: alors son visage s'épanouissait par degrés, et elle finissait par faire chorus avec les autres. Quand la tante demoiselle faisait un mariage, les jeunes personnes éclataient de nouveau et la tante demoiselle devenait de très-mauvaise humeur; mais elle sentait la main de M. Tupman qui saisissait la sienne par-dessous la table, et son visage s'épanouissait aussi, puis elle prenait un air à peu près malin, comme si le mariage n'avait pas été aussi loin de la question qu'on le supposait. Alors tout le monde recommençait à rire, surtout le vieux Wardle qui s'amusait d'une plaisanterie au moins autant que les plus jeunes. Cependant, M. Snodgrass murmurait continuellement dans l'oreille de sa partner des sentiments poétiques, qui faisaient faire à un vieux gentleman sur les associations pour les cartes et sur les associations pour la vie, des remarques facétieuses et malignes, accompagnées de coups d'œil, de coups de coude et de sourires. L'hilarité de la compagnie en était redoublée, et spécialement celle de l'épouse du susdit vieux gentleman. De temps en temps M. Winkle éditait des bons mots, fort connus dans la ville, mais qui ne l'étaient pas encore dans la province; et comme tout le monde en riait de très-bon cœur et les trouvait excellente, M. Winkle était resplendissant d'honneur et de gloire. Quant au bienveillant ecclésiastique, il regardait cette scène d'un air satisfait, car le bon vieillard était heureux de voir des visages heureux autour de lui; et, quoique la joie fût assez bruyante, elle venait du cœur, non des lèvres, c'est-à-dire que c'était la véritable joie, après tout.
La soirée s'écoula rapidement au sein de ces récréations. Après un souper simple et substantiel, un cercle sociable fut formé autour du feu, et M. Pickwick déclara que jamais de sa vie il n'avait ressenti plus de vrai bonheur et n'avait été mieux disposé à jouir du présent hélas! trop fugitif.
Le vieillard hospitalier était assis en cérémonie auprès du fauteuil de sa mère, et tenait une de ses mains dans les siennes: «Voilà précisément ce que j'aime, disait-il. Les plus heureux instants de mon existence se sont passés auprès de ce vieux foyer, et je trouve du plaisir à y faire flamber du feu jusqu'à ce que la chaleur devienne insupportable. Voyez-vous... ma pauvre vieille mère que voilà, s'asseyait dans cette cheminée sur ce petit tabouret, quand elle était enfant. N'est-il pas vrai, ma mère?»
La vieille lady secoua la tête avec un sourire mélancolique, et l'on vit couler lentement sur ses joues ces larmes involontaires qui s'éveillent au souvenir des anciens temps et du bonheur écoulé depuis de longues années.
«Monsieur Pickwick, continua leur hôte après un court silence, vous m'excuserez si je parle souvent de cet endroit, car je l'aime passionnément, et je n'en connais pas d'autre. La vieille maison et les champs mêmes semblent être pour moi d'anciens amis. J'en dis autant de notre petite église garnie d'une épaisse tenture de lierre, sur lequel, par parenthèse, notre excellent ami que voilà a fait une chanson à son arrivée ici. Monsieur Snodgrass, il me semble que votre verre est vide.
—Je vous demande pardon, répliqua ce gentleman, dont la curiosité poétique avait été grandement excitée par la dernière phrase de son hôte. Vous parliez ce me semble d'une chanson sur le lierre?
—C'est à notre ami qu'il faut vous adresser à ce sujet, dit M. Wardle en indiquant l'ecclésiastique par un signe.
—Oserais-je vous prier, monsieur, de nous faire connaître cette composition? dit alors M. Snodgrass.
—Véritablement, répondit le vénérable ecclésiastique, c'est fort peu de chose et ma seule excuse pour m'en être rendu coupable, c'est que j'étais très-jeune dans ce temps-là. Telle qu'elle est, toutefois, vous allez l'entendre, si vous le désirez.»
Un murmure de curiosité fut naturellement la réplique, et le vieil ecclésiastique, soufflé de temps en temps par sa femme, commença à réciter la pièce de vers en question. «Je l'appelle,» dit-il:
LE LIERRE.
Oh! quelle plante singulière
Que ce vieux gourmand de lierre,
Qui rampe sur d'anciens débris!
Il lui faut l'antique poussière
Que les siècles seuls ont pu faire,
Pour contenter ses appétits.
Oh! quelle plante singulière
Que ce vieux gourmand de lierre!
Dans son domaine solitaire,
Tantôt il s'étend sur la terre,
Rongeant la pierre des tombeaux;
Et tantôt, relevant la tête,
Il grimpe, d'un air de conquête,
Au sommet des plus grands ormeaux.
Oh! quelle plante singulière
Que ce vieux gourmand de lierre!
Par le cours fatal des années,
Les nations sont ruinées,
Mais lui, rien ne peut le flétrir.
Les plus grands monuments de l'homme,
A quoi donc servent-ils, en somme?
A l'abriter, à le nourrir.
Oh! quelle plante singulière
Que ce vieux gourmand de lierre!
Tandis que le bienveillant ecclésiastique répétait ses vers une seconde fois pour permettre à M. Snodgrass d'en prendre note, M. Pickwick étudiait avec un grand intérêt l'expression de sa physionomie. Il prit ensuite la parole et dit au vicaire:
«Voulez-vous me permettre, monsieur, malgré la nouveauté de notre connaissance, de vous demander si, dans le cours de votre carrière, comme ministre de l'évangile, vous n'avez pas observé beaucoup d'événements dignes d'être conservés dans la mémoire des hommes?
—Effectivement, monsieur, répliqua le ministre; j'ai observé beaucoup d'événements, mais dans une sphère étroite; et ils ont toujours été d'une nature simple et ordinaire.
—Vous avez réuni, je pense, quelques notes sur John Edmunds?» reprit M. Wardle, qui désirait mettre son ami en évidence, pour l'édification de ses nouveaux hôtes.
La vicaire fit un léger signe d'assentiment et se préparait à changer le sujet de la conversation, lorsque M. Pickwick lui dit: «Pardonnez-moi, monsieur; mais je vous serais obligé de m'apprendre qui était ce John Edmunds?
—C'est précisément ce que j'allais demander; ajouta M.
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