Tupman, M. Snodgrass et M. Winkle, car Joe ne sachant pas, au juste, lequel de ces messieurs il devait amener, avait jugé, dans sa sagacité profonde, que pour prévenir toute erreur, le meilleur moyen était de les convoquer tous les trois.

«Arrivez! arrivez! cria le vieux gentleman à M. Winkle. Un fameux tireur comme vous aurait dû être prêt depuis longtemps, même pour si peu de chose.»

M. Winkle répondit par un sourire contraint, et ramassa le fusil qui lui était destiné, avec l'expression de physionomie qui aurait pu convenir à une corneille métaphysicienne, tourmentée par le pressentiment d'une mort prochaine et violente. C'était peut-être de l'indifférence, mais cela ressemblait prodigieusement à de l'abattement.

Le vieux gentleman fit un signe, et deux gamins déguenillés commencèrent à grimper lestement sur deux arbres.

«Pourquoi faire ces enfants?» demanda brusquement M. Pickwick.

Son bon cœur s'était alarmé, car il avait tant entendu parler de la détresse des laboureurs, qu'il n'était pas éloigné de croire que leurs enfants pussent être forcés par la misère, à s'offrir eux-mêmes pour but aux chasseurs, afin d'assurer ainsi à leurs parents une chétive subsistance.

«Seulement pour faire lever le gibier, répondit en riant M. Wardle.

—Pour faire quoi?

—Pour effrayer les corneilles.

—Ah! voilà tout?

—Oui. Vous voilà entièrement tranquille?

—Tout à fait.

—Très-bien! Commencerai-je? ajouta le vieux gentleman en s'adressant à M. Winkle.

—Oui, s'il vous plaît, répondit celui-ci, enchanté d'avoir un moment de répit.

—Reculez-vous un peu. Allons! voilà le moment!»

L'un des enfants cria en secouant une branche, sur laquelle était un nid, et aussitôt une douzaine de jeunes corneilles, interrompues au milieu d'une très-bruyante conversation, s'élancèrent au dehors pour demander de quoi il s'agissait. Le vieux gentleman fit feu, par manière de réplique. L'un des oiseaux tomba et les autres s'envolèrent.

—Ramassez-le Joe,» dit le vieux gentleman.

Le corpulent jeune homme s'avança, et ses traits s'épanouirent en guise de sourire: des visions indistinctes de pâtés de corneilles flottaient devant son imagination. En emportant l'oiseau, il riait, car la victime était grasse et tendre.

«Maintenant, à votre tour, monsieur Winkle, dit le vieux gentleman en rechargeant son fusil. Allons! tirez!»

M. Winkle s'avança, et épaula son fusil. M. Pickwick et ses compagnons se reculèrent involontairement, pour éviter la pluie de corneilles qu'ils étaient sûrs de voir tomber sous le plomb dévastateur de leur ami. Il y eut une pose solennelle, un grand cri, un battement d'ailes, un léger clic....

«Oh! oh! fit le vieux gentleman.

—Il ne veut pas partir? demanda M. Pickwick.

—Il a raté, répondit M. Winkle, qui était fort pâle, probablement de désappointement.

—C'est étrange, dit le vieux gentleman en prenant le fusil. Cela ne lui est jamais arrivé.

—Comment? je ne vois aucun reste de la capsule.

—En vérité? répartit M. Winkle: j'aurai complétement oublié la capsule.»

Cette légère omission fut réparée; M. Pickwick s'abrita de nouveau, et M. Tupman se mit derrière un arbre. M. Winkle fit un pas en avant, d'un air déterminé, en tenant son fusil à deux mains. L'enfant cria; quatre oiseaux s'envolèrent; M. Winkle leva son arme; on entendit une explosion, puis un cri d'angoisse; mais ce n'était pas le cri d'une corneille.