Wardle, irait juger des coups dans ce combat d'habileté qui avait tiré Muggleton de sa torpeur, et inoculé à Dingley-Dell une excitation fébrile.
Il n'y avait guère qu'une demi-lieue de distance à parcourir, et le sentier couvert de mousse passait par des allées ombragées. La conversation roula principalement sur les délicieux paysages qui se découvraient tour à tour, et M. Pickwick regretta presque d'avoir été si vite, lorsqu'il se trouva dans la grande rue de Muggleton.
Toutes les personnes dont le génie est doué de la moindre propension géographique savent, nécessairement, que la ville de Muggleton jouit d'une corporation, qu'elle possède un maire, des bourgeois, des électeurs: et quiconque consultera les Adresses du maire aux freemen, ou celles des freemen au maire, ou celles du maire et des freemen à la corporation, ou celles du maire, des freemen et de la corporation au Parlement, apprendra par là ce qu'il aurait dû connaître auparavant: à savoir, que Muggleton est un bourg ancien et loyal, unissant une ferveur zélée pour les principes du christianisme à un attachement solide aux droits commerciaux. En preuve de quoi, le maire, la corporation et divers habitants, ont présenté à différentes reprises soixante-huit pétitions pour qu'on permit la vente des bénéfices dans l'église, quatre-vingt-six pétitions pour qu'on défendît la vente dans les rues le dimanche, mille quatre cent vingt pétitions contre la traite des noirs en Amérique, avec un nombre égal de pétitions contre toute espèce d'intervention législative, au sujet du travail exagéré des enfants, dans les manufactures anglaises.
Lorsque M. Pickwick se trouva dans la grande rue de cet illustre bourg, il contempla la scène qui s'offrit à ses yeux avec une curiosité mélangée d'intérêt.
La place du marché avait la forme d'un carré au centre duquel s'était érigée une vaste auberge. Son enseigne énorme étalait un objet fort commun dans les arts, mais qu'on rencontre rarement dans la nature, c'est-à-dire un lion bleu, ayant trois pattes en l'air et se balançant sur l'extrémité de l'ongle central de la quatrième. On voyait aux environs un bureau d'assurance contre l'incendie et celui d'un commissaire-priseur, les magasins d'un marchand de blé et d'un marchand de toile, les boutiques d'un sellier, d'un distillateur, d'un épicier et d'un cordonnier, lequel cordonnier faisait également servir son local à la diffusion des chapeaux, des bonnets, des hardes de toute espèce, des parapluies et des connaissances utiles. Il y avait en outre une petite maison de briques rouges, précédée d'une sorte de cour pavée, et que tout le monde, à la première vue, reconnaissait pour appartenir à un avoué. Il y avait encore une autre maison en briques rouges sur la porte de laquelle s'étalait une large plaque de cuivre annonçant, en caractères très-lisibles, que cette maison appartenait à un chirurgien. Quelques jeunes gens se dirigeaient vers le jeu de crosse, et deux ou trois boutiquiers, se tenant debout sur le pavé de leur porte, avaient l'air fort désireux de se rendre au même endroit, comme ils auraient pu le faire, selon toutes les apparences, sans perdre un grand nombre de chalands.
M. Pickwick s'était déjà arrêté pour faire ces observations qu'il se proposait de noter à son aise, mais comme ses amis avaient quitté la grande rue, il se hâta de les rejoindre et les retrouva en vue du champ de bataille.
Les barres que les joueurs doivent conquérir ou défendre étaient déjà placées, aussi bien qu'une couple de tentes pour servir au repos et au rafraîchissement des parties belligérantes. Mais le jeu n'était pas encore commencé. Deux ou trois Dingley-Dellois ou Muggletoniens s'amusaient d'un air majestueux à jeter négligemment leur balle d'une main dans l'autre. Ils avaient des chapeaux de paille, des jaquettes de flanelle et des pantalons blancs, ce qui leur donnait tout à fait la tournure d'amateurs tailleurs de pierre. Quelques autres gentlemen, vêtus de la même manière, étaient éparpillés autour des tentes, vers l'une desquelles M. Wardle conduisit sa société.
Plusieurs douzaines de «Comment vous portez-vous?» saluèrent l'arrivée du vieux gentleman, et il y eut un soulèvement général de chapeaux de paille, avec une inclinaison contagieuse de gilets de flanelle, lorsqu'il introduisit ses hôtes comme des gentlemen de Londres, qui désiraient vivement assister aux agréables divertissements de la journée.
«Je crois, monsieur, que vous feriez mieux d'entrer dans la marquise, dit un très-volumineux gentleman, dont le corps paraissait être la moitié d'une gigantesque pièce de flanelle, perchée sur une couple de traversins.
—Vous y seriez beaucoup mieux, monsieur, ajouta un autre gentleman aussi volumineux que le précédent, et qui ressemblait à l'autre moitié de la susdite pièce de flanelle.
—Vous êtes bien bon, répondit M. Pickwick.
—Par ici, reprit le premier gentleman; c'est ici que l'on marque, c'est la place la meilleure;» et il les précéda en soufflant comme un cheval poussif.
Jeu superbe,—noble occupation,—bel exercice,—charmant! Telles furent les paroles qui frappèrent les oreilles de M. Pickwick en entrant dans la tente, et le premier objet qui s'offrit à ses regards fut son ami de la voiture de Rochester. Il était en train de pérorer, à la grande satisfaction d'un cercle choisi des joueurs élus par la ville de Muggleton. Son costume s'était légèrement amélioré. Il avait des bottes neuves, mais il était impossible de le méconnaître.
L'étranger reconnut immédiatement ses amis. Avec son impétuosité ordinaire et en parlant continuellement, il se précipita vers M. Pickwick, le saisit par la main et le tira vers un siége, comme si tous les arrangements du jeu avaient été spécialement sous sa direction.
«Par ici!—par ici!—ça sera fièrement amusant,—muids de bière,—monceaux de bœuf,—tonneaux de moutarde,—glorieuse journée,—asseyez-vous,—mettez-vous à votre aise,—charmé de vous voir, très-charmé.»
M. Pickwick s'assit comme on le lui disait, et MM. Winkle et Snodgrass suivirent également les indications de leur mystérieux ami. M. Wardle l'examinait avec un étonnement silencieux.
—M. Wardle, un de mes amis, dit M. Pickwick à l'étranger.
—Un de vos amis? s'écria celui-ci. Mon cher monsieur, comment vous portez-vous?—Les amis de nos amis sont....—Votre main, monsieur.»
En enfilant ces phrases, l'étranger saisit la main de M.
1 comment