Drôles de gens que ces moines, papes et trésoriers, et toutes sortes de vieux gaillards, avec des grosses faces rouges et des nez écornés, qu'on déterre tous les jours. Des pourpoints de buffle, des arquebuses à mèche, sarcophages. Belle place, vieilles légendes, drôles d'histoires, étonnantes.» Et l'étranger continua son soliloque jusqu'au moment où la voiture s'arrêta, dans la grande rue, devant l'auberge du Taureau.

—Allez-vous rester ici, monsieur, lui demanda M. Nathaniel Winkle.

«Ici? non, monsieur. Mais vous ferez bien d'y séjourner, bonne maison, lits propres. L'hôtel Wright, à côté, très-cher, une demi-couronne de plus sur votre compte, si vous regardez seulement le garçon; fait payer plus cher si vous dînez en ville que si vous dîniez à l'hôtel: drôles de gens, vraiment.»

M. Winkle s'approcha de M. Pickwick et lui dit quelques paroles à l'oreille. Un chuchotement passa de M. Pickwick à M. Snodgrass, de M. Snodgrass à M. Tupman, et des signes d'assentiment ayant été échangés, M. Pickwick s'adressa ainsi à l'étranger.

«Vous nous avez rendu ce matin un important service, monsieur. Permettez-moi de vous offrir une légère marque de notre reconnaissance, en vous priant de nous faire l'honneur de dîner avec nous.

—Grand plaisir. Ne me permettrai pas de dire mon goût; volaille rôtie et champignons, excellente chose; quelle heure?

—Voyons, répondit M. Pickwick, en tirant sa montre. Il est maintenant près de trois heures. A cinq heures, si vous voulez.

—Convient parfaitement; cinq heures précises, jusqu'alors prenez soin de vous.»

Ainsi parla l'étranger, et il souleva de quelques pouces son chapeau à bords retroussés, le replaça négligemment sur le coin de l'oreille, traversa la cour d'un air délibéré, et tourna dans la grande rue, ayant toujours hors de sa poche la moitié du paquet de papier gris.

«Évidemment un grand voyageur dans divers climats et un profond observateur des hommes et des choses, dit M. Pickwick.

—J'aimerais à voir son poëme, reprit M. Snodgrass.

—Et moi je voudrais avoir vu son chien,» ajouta M. Winkle.

M. Tupman ne parla point, mais il pensa a doña Christina, à l'acide prussique, à la fontaine, et ses yeux se remplirent de larmes.

Après avoir retenu une salle à manger particulière, examiné les lits, commandé le dîner, nos voyageurs sortirent pour observer la ville et les environs.

Nous avons lu soigneusement les notes de M. Pickwick sur les quatre villes de Stroud, Rochester, Chatham et Brompton, et nous n'avons pas trouvé que ses opinions différassent matériellement de celles des autres savants qui ont parcouru les mêmes lieux. On peut résumer ainsi sa description.

Les principales productions de ces villes paraissent être des soldats, des matelote, des juifs, de la craie, des crevettes, des officiers et des employés de la marine. Les principales marchandises étalées dans les rues sont des denrées pour la marine, du caramel, des pommes, des poissons plats et des huîtres. Les rues ont un air vivant et animé, qui provient principalement de la bonne humeur des militaires. Quand ces vaillants hommes, sous l'influence d'un excès de gaieté et de spiritueux, font, en chantant, des zigzags dans les rues, ils offrent un spectacle vraiment délicieux pour un esprit philanthropique, surtout si nous considérons quel amusement innocent et peu cher ils fournissent à tous les enfants de la ville, qui les suivent en plaisantent avec eux. Rien (ajouta M. Pickwick), rien n'égale leur bonne humeur.