La porte, en chêne fendillé comme l’écorce des arbres qui fournirent le bois, est pleine de clous énormes, lesquels dessinent des figures géométriques. Le cintre est creux. Il offre l’écusson des du Guaisnic aussi net, aussi propre que si le sculpteur venait de l’achever. Cet écu ravirait un amateur de l’art héraldique par une simplicité qui prouve la fierté, l’antiquité de la famille. Il est comme au jour où les croisés du monde chrétien inventèrent ces symboles pour se reconnaître, les Guaisnic ne l’ont jamais écartelé, il est toujours semblable à lui-même, comme celui de la maison de France, que les connaisseurs retrouvent en abîme ou écartelé, semé dans les armes des plus vieilles familles. Le voici tel que vous pouvez encore le voir à Guérande : de gueules à la main au naturel gonfalonnée d’hermine, à l’épée d’argent en pal, avec ce terrible mot pour devise : FAC ! N’est-ce pas une grande et belle chose ? Le tortil de la couronne baroniale surmonte ce simple écu dont les lignes verticales, employées en sculpture pour représenter les gueules, brillent encore. L’artiste a donné je ne sais quelle tournure fière et chevaleresque à la main. Avec quel nerf elle tient cette épée dont s’est encore servie hier, la famille ! En vérité, si vous alliez à Guérande après avoir lu cette histoire, il vous serait impossible de ne pas tressaillir en voyant ce blason. Oui, le républicain le plus absolu serait attendri par la fidélité, par la noblesse et la grandeur cachées au fond de cette ruelle. Les du Guaisnic ont bien fait hier, ils sont prêts à bien faire demain. Faire est le grand mot de la chevalerie. — Tu as bien fait à la bataille, disait toujours le connétable par excellence, ce grand du Guesclin, qui mit pour un temps l’Anglais hors de France. La profondeur de la sculpture, préservée de toute intempérie par la forte marge que produit la saillie ronde du cintre, est en harmonie avec la profondeur morale de la devise dans l’âme de cette famille. Pour qui connaît les du Guaisnic, cette particularité devient touchante. La porte ouverte laisse voir une cour assez vaste, à droite de laquelle sont les écuries, à gauche la cuisine. L’hôtel est en pierre de taille depuis les caves jusqu’au grenier. La façade sur la cour est ornée d’un perron à double rampe dont la tribune est couverte de vestiges de sculptures effacées par le temps, mais où l’œil de l’antiquaire distinguerait encore au centre les masses principales de la main tenant l’épée. Sous cette jolie tribune, encadrée par des nervures cassées en quelques endroits et comme vernie par l’usage à quelques places, est une petite loge autrefois occupée par un chien de garde. Les rampes en pierre sont disjointes : il y pousse des herbes, quelques petites fleurs et des mousses aux fentes, comme dans les marches de l’escalier, que les siècles ont déplacées sans leur ôter de la solidité. La porte dut être d’un joli caractère. Autant que le reste des dessins permet d’en juger, elle fut travaillée par un artiste élevé dans la grande école vénitienne du treizième siècle. On y retrouve je ne sais quel mélange du byzantin et du moresque. Elle est couronnée par une saillie circulaire chargée de végétation, un bouquet rose, jaune, brun ou bleu, selon les saisons. La porte, en chêne clouté, donne entrée dans une vaste salle, au bout de laquelle est une autre porte avec un perron pareil qui descend au jardin. Cette salle est merveilleuse de conservation. Ses boiseries à hauteur d’appui sont en châtaignier. Un magnifique cuir espagnol, animé de figures en relief, mais où les dorures sont émiettées et rougies, couvre les murs. Le plafond est composé de planches artistement jointes, peintes et dorées. L’or s’y voit à peine ; il est dans le même état que celui du cuir de Cordoue ; mais on peut encore apercevoir quelques fleurs rouges et quelques feuillages verts. Il est à croire qu’un nettoyage ferait reparaître des peintures semblables à celles qui décorent les planchers de la maison de Tristan à Tours, et qui prouveraient que ces planchers ont été refaits ou restaurés sous le règne de Louis XI.
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