A la hauteur du premier étage seulement, ces deux tourelles sont réunies par une galerie en pierre que soutiennent des espèces de proues à visages humains. Cette galerie extérieure est ornée d’une balustrade travaillée avec une élégance, avec une finesse merveilleuse. Puis, du haut du pignon, sous lequel il existe un seul croisillon oblong, pend un ornement en pierre représentant un dais semblable à ceux qui couronnent les statues des saints dans les portails d’église. Les deux tourelles sont percées d’une jolie porte à cintre aigu donnant sur cette terrasse. Tel est le parti que l’architecture du treizième siècle tirait de la muraille nue et froide que présente aujourd’hui le pan coupé d’une maison. Voyez-vous une femme se promenant au matin sur cette galerie et regardant par-dessus Guérande le soleil illuminer l’or des sables et miroiter la nappe de l’Océan ? N’admirez-vous pas cette muraille à pointe fleuretée, meublée à ses deux angles de deux tourelles quasi-cannelées, dont l’une est brusquement arrondie en nid d’hirondelle, et dont l’autre offre sa jolie porte à cintre gothique et décoré de la main tenant une épée ? L’autre pignon de l’hôtel du Guaisnic tient à la maison voisine. L’harmonie que cherchaient si soigneusement les Maîtres de ce temps est conservée dans la façade de la cour par la tourelle semblable à celle où monte la vis, tel est le nom donné jadis à un escalier, et qui sert de communication entre la salle à manger et la cuisine ; mais elle s’arrête au premier étage, et son couronnement est un petit dôme à jour sous lequel s’élève une noire statue de saint Calyste.
Le jardin est luxueux dans une vieille enceinte, il a un demi-arpent environ, ses murs sont garnis d’espaliers ; il est divisé en carrés de légumes, bordés de quenouilles que cultive un domestique mâle nommé Gasselin, lequel panse les chevaux. Au bout de ce jardin est une tonnelle sous laquelle est un banc. Au milieu s’élève un cadran solaire. Les allées sont sablées. Sur le jardin, la façade n’a pas de tourelle pour correspondre à celle qui monte le long du pignon. Elle rachète ce défaut par une colonnette tournée en vis depuis le bas jusqu’en haut, et qui devait jadis supporter la bannière de la famille, car elle est terminée par une espèce de grosse crapaudine en fer rouillé, d’où il s’élève de maigres herbes. Ce détail, en harmonie avec les vestiges de sculpture, prouve que ce logis fut construit par un architecte vénitien. Cette hampe élégante est comme une signature qui trahit Venise, la chevalerie, la finesse du treizième siècle. S’il restait des doutes à cet égard, la nature des ornements les dissiperait. Les trèfles de l’hôtel du Guaisnic ont quatre feuilles, au lieu de trois. Cette différence indique l’école vénitienne adultérée par son commerce avec l’orient où les architectes à demi moresques, peu soucieux de la grande pensée catholique, donnaient quatre feuilles au trèfle, tandis que les architectes chrétiens demeuraient fidèles à la Trinité. Sous ce rapport, la fantaisie vénitienne était hérétique. Si ce logis surprend votre imagination, vous vous demanderez peut-être pourquoi l’époque actuelle ne renouvelle plus ces miracles d’art. Aujourd’hui les beaux hôtels se vendent, sont abattus et font place à des rues. Personne ne sait si sa génération gardera le logis patrimonial, où chacun passe comme dans une auberge ; tandis qu’autrefois en bâtissant une demeure, on travaillait, on croyait du moins travailler pour une famille éternelle. De là, la beauté des hôtels. La foi en soi faisait des prodiges autant que la foi en Dieu. Quant aux dispositions et au mobilier des étages supérieurs, ils ne peuvent que se présumer d’après la description de ce rez-de-chaussée, d’après la physionomie et les mœurs de la famille. Depuis cinquante ans, les du Guaisnic n’ont jamais reçu personne ailleurs que dans les deux pièces où respiraient, comme dans cette cour et dans les accessoires extérieurs de ce logis, l’esprit, la grâce, la naïveté de la vieille et noble Bretagne. Sans la topographie et la description de la ville, sans la peinture minutieuse de cet hôtel, les surprenantes figures de cette famille eussent été peut-être moins comprises. Aussi les cadres devaient-ils passer avant les portraits. Chacun pensera que les choses ont dominé les êtres. Il est des monuments dont l’influence est visible sur les personnes qui vivent à l’entour. Il est difficile d’être irréligieux à l’ombre d’une cathédrale comme celle de Bourges.
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