Beaucoup de Bruit pour Rien



Project BookishMall.com's Beaucoup de Bruit pour Rien, by William Shakespeare

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Title: Beaucoup de Bruit pour Rien

Author: William Shakespeare

Release Date: May 17, 2005 [EBook #15846]

Language: French


*** START OF THIS PROJECT BookishMall.com EBOOK BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN ***




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Note du transcripteur:

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Ce document est tiré de:


OEUVRES COMPLÈTES DE

SHAKSPEARE


TRADUCTION DE

M. GUIZOT


NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE

AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE

DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES


Volume 2

Jules César.

Cléopâtre.—Macbeth.—Les Méprises.

Beaucoup de bruit pour rien.


PARIS

A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE

DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS

35, QUAI DES AUGUSTINS


1864


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BEAUCOUP DE BRUIT
POUR RIEN

COMÉDIE




NOTICE
SUR
BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

L'histoire de Ginévra, dans le cinquième chant de l'Arioste, a quelque rapport avec la fiction romanesque de cette pièce; plusieurs critiques, et entre autres Pope, ont cru que le Roland Furieux avait été la source où Shakspeare avait puisé. On remarque aussi dans plusieurs anciens romans de chevalerie des épisodes qui rappellent la calomnie de don Juan, et la mort supposée d'Héro; mais c'est dans les histoires tragiques que Belleforest a empruntées à Bandello qu'on trouve la nouvelle qui a évidemment fourni à Shakspeare l'idée de Beaucoup de bruit pour rien.

«Pendant que Pierre d'Aragon tenait sa cour à Messine, un certain baron, Timbrée de Cardone, favori du prince, devint amoureux de Fénicia, fille de Léonato, gentilhomme de la ville: sa fortune, la faveur du roi, et ses qualités personnelles plaidèrent si bien sa cause, que Timbrée fut en peu de temps l'amant préféré de Fénicia, et obtint l'agrément de Léonato pour l'épouser.

«La nouvelle en vint aux oreilles d'un jeune gentilhomme appelé Girondo-Olerio-Valentiano, qui depuis longtemps cherchait vainement à faire impression sur le coeur de Fénicia. Jaloux du bonheur de Timbrée, il ne songe plus qu'à le traverser, et met dans ses intérêts un autre jeune homme qui, affectant pour Timbrée un zèle officieux, va le prévenir qu'un de ses amis faisait de fréquentes visites nocturnes à sa fiancée, et offre de lui donner le soir même les preuves de sa perfidie.

«Timbrée accepte; il suit son guide qui lui fait voir en effet son prétendu rival, qui n'était qu'un valet travesti, montant par une échelle de corde dans l'appartement de Fénicia. Timbrée ne veut pas d'autre éclaircissement, et dès le lendemain il va retirer sa parole, et révèle à Léonato la trahison de sa fille.

«Fénicia, accablée de cet affront, s'évanouit et ne reprend ses sens qu'au bout de sept heures. Tout Messine la croit morte, car elle-même, résolue de renoncer au monde, se fait transporter secrètement à la campagne, chez un de ses oncles, pendant qu'on célèbre ses funérailles.

«Le remords poursuit partout Girondo; il se décide à faire à Timbrée l'aveu de sa coupable calomnie; il le mène à l'église, auprès du tombeau de Fénicia, se met à genoux, offre un poignard à son rival, et, lui présentant son sein, le conjure de frapper le meurtrier de la fille de Léonato.

«Timbrée lui pardonne, et court lui-même chez Léonato lui offrir toute sa fortune en réparation de sa crédule jalousie; le vieillard refuse, et n'exige de Timbrée que la promesse d'accepter une autre épouse de sa main.

«Quelque temps après il le conduit à sa campagne et lui présente Fénicia sous le nom de Lucile, et comme sa nièce. Fénicia était tellement changée, qu'elle ne fut reconnue qu'à la fin de la noce, et lorsqu'une tante de la mariée ne put garder plus longtemps le secret;» tel est l'extrait succinct de la nouvelle du prolixe Bandello.

On verra quel intérêt dramatique le poëte a ajouté à ce récit déjà intéressant. La scène de l'église, où Claudio accuse hautement Héro, est vraiment tragique. Combien est touchant l'appel que fait la fille de Léonato à son innocence! Quelle profonde connaissance du coeur humain décèle le caractère de ce don Juan, cet homme essentiellement insociable, pour qui faire le mal est un besoin, et qui s'irrite contre les bienfaits de son propre frère!

Mais les personnages les plus brillants et les plus animés de la pièce sont Bénédick et Béatrice. Que d'originalité dans leurs dialogues, où l'on trouve quelquefois, il est vrai, un peu trop de liberté! Leur aversion pour le mariage, leur conversion subite, fournissent une foule de situations des plus comiques. Les deux constables, Dogberry et Verges, avec leur suffisance, leurs graves niaiseries et leurs lourdes bévues, sont des modèles de naturel.

Il y a dans cette pièce un heureux mélange de sérieux et de gaieté qui en fait une des plus charmantes productions de Shakspeare: c'est encore une de celles que l'on revoit avec le plus de plaisir sur le théâtre de Londres. Bénédick était un des rôles favoris de Garrick, qui y faisait admirer toute la souplesse de son talent.

Selon le docteur Malone, la comédie de Beaucoup de bruit pour rien aurait été composée en 1600, et imprimée la même année.




BEAUCOUP DE BRUIT
POUR RIEN

COMÉDIE

PERSONNAGES

DON PÈDRE, prince d'Aragon.

LEONATO, gouverneur de Messine.

DON JUAN, frère naturel de don Pèdre.

CLAUDIO, jeune seigneur de Florence, favori de don Pèdre.

BENEDICK, jeune seigneur de Padoue, autre favori de don Pèdre.

BALTHAZAR, domestique de don

Pèdre.

ANTONIO, frère de Léonato.

BORACHIO,  ) attaché à don Juan.

CONRAD,     )

DOGBERRY,  ) deux constables.

VERGES,       )

UN SACRISTAIN.

UN MOINE.

UN VALET.

HÉRO, fille de Léonato.

BÉATRICE, nièce de Léonato.

MARGUERITE,  ) dames attachées

URSULE,            ) à HÉRO.

MESSAGERS, GARDES ET VALETS.

La scène est à Messine.




ACTE PREMIER



SCÈNE I


Terrasse devant le palais de Léonato.

Entrent LÉONATO, HÉRO, BÉATRICE et autres, avec UN MESSAGER

LÉONATO.—J'apprends par cette lettre que don Pèdre d'Aragon arrive ce soir à Messine.

LE MESSAGER.—A l'heure qu'il est, il doit en être fort près. Nous n'étions pas à trois lieues lorsque je l'ai quitté.

LÉONATO.—Combien avez-vous perdu de soldats dans cette affaire?

LE MESSAGER.—Très-peu d'aucun genre et aucun de connu.

LÉONATO.—C'est une double victoire, quand le vainqueur ramène au camp ses bataillons entiers. Je lis ici que don Pèdre a comblé d'honneurs un jeune Florentin nommé Claudio.

LE MESSAGER.—Bien mérités de sa part et bien reconnus par don Pèdre.—Claudio a surpassé les promesses de son âge; avec les traits d'un agneau, il a fait les exploits d'un lion. Il a vraiment trop dépassé toutes les espérances pour que je puisse espérer de vous les raconter.

LÉONATO.—Il a ici dans Messine un oncle qui en sera bien content.

LE MESSAGER.—Je lui ai déjà remis des lettres, et il a paru éprouver beaucoup de joie, et même à un tel excès, que cette joie n'aurait pas témoigné assez de modestie sans quelque signe d'amertume.

LÉONATO.—Il a fondu en larmes?

LE MESSAGER.—Complètement.

LÉONATO.—Doux épanchements de tendresse! Il n'est pas de visages plus francs que ceux qui sont ainsi baignés de larmes. Ah! qu'il vaut bien mieux pleurer de joie que de rire de ceux qui pleurent!

BÉATRICE.—Je vous supplierai de m'apprendre si le signor Montanto1 revient de la guerre ici ou non.

Note 1: (retour) Montanto est un des anciens termes de l'escrime et s'appliquait à un fier-à-bras, à un bravache.

LE MESSAGER.—Je ne connais point ce nom, madame. Nous n'avions à l'armée aucun officier d'un certain rang portant ce nom.

LÉONATO.—De qui vous informez-vous, ma nièce?

HÉRO.—Ma cousine veut parler du seigneur Bénédick de Padoue.

LE MESSAGER.—Oh! il est revenu; et tout aussi plaisant que jamais.

BÉATRICE.—Il mit un jour des affiches2 dans Messine, et défia Cupidon dans l'art de tirer de longues flèches; le fou de mon oncle qui lut ce défi répondit pour Cupidon, et le défia à la flèche ronde.—De grâce, combien a-t-il exterminé, dévoré d'ennemis dans cette guerre? Dites-moi simplement combien il en a tué, car j'ai promis de manger tous les morts de sa façon.

Note 2: (retour) Il était d'usage parmi les gladiateurs d'écrire des billets portant des défis. Flight et bird bolt étaient différentes sortes de flèches.

LÉONATO.—En vérité, ma nièce, vous provoquez trop le seigneur Bénédick; mais il est bon pour se défendre, n'en doutez pas.

LE MESSAGER.—Il a bien servi, madame, dans cette campagne.

BÉATRICE.—Vous aviez des vivres gâtés, et il vous a aidé à les consommer. C'est un très-vaillant mangeur; il a un excellent estomac.

LE MESSAGER.—Il est aussi bon soldat, madame.

BÉATRICE.—Bon soldat près d'une dame; mais en face d'un homme, qu'est-il?

LE MESSAGER.—C'est un brave devant un brave, un homme en face d'un homme. Il y a en lui l'étoffe de toutes les vertus honorables.

BÉATRICE.—C'est cela en effet; Bénédick n'est rien moins qu'un homme étoffé3, mais quant à l'étoffe;—eh bien! nous sommes tous mortels.

Note 3: (retour) A stuffed man.

LÉONATO.—Il ne faut pas, monsieur, mal juger de ma nièce. Il règne une espèce de guerre enjouée entre elle et le seigneur Bénédick. Jamais ils ne se rencontrent sans qu'il y ait entre eux quelque escarmouche d'esprit.

BÉATRICE.—Hélas! il ne gagne rien à cela. Dans notre dernier combat, quatre de ses cinq sens s'en allèrent tout éclopés, et maintenant tout l'homme est gouverné par un seul. Pourvu qu'il lui reste assez d'instinct pour se tenir chaudement, laissons-le-lui comme l'unique différence qui le distingue de son cheval: car c'est le seul bien qui lui reste pour avoir quelque droit au nom de créature raisonnable.—Et quel est son compagnon maintenant? car chaque mois il se donne un nouveau frère d'armes.

LE MESSAGER.—Est-il possible?

BÉATRICE.—Très-possible. Il garde ses amitiés comme la forme de son chapeau, qui change à chaque nouveau moule.

LE MESSAGER.—Madame, je le vois bien, ce gentilhomme n'est pas sur vos tablettes.

BÉATRICE.—Oh! non; si j'y trouvais jamais son nom, je brûlerais toute la bibliothèque.—Mais dites-moi donc, je vous prie, quel est son frère d'armes? N'avez-vous pas quelque jeune écervelé qui veuille faire avec lui un voyage chez le diable?

LE MESSAGER.—Il vit surtout dans la compagnie du noble Claudio.

BÉATRICE.—Bonté du ciel! il s'attachera à lui comme une maladie. On le gagne plus promptement que la peste; et quiconque en est pris extravague à l'instant. Que Dieu protége le noble Claudio! Si par malheur il est pris du Bénédick, il lui en coûtera mille livres pour s'en guérir.

LE MESSAGER.—Je veux, madame, être de vos amis.

BÉATRICE.—Je vous y engage, mon bon ami!

LÉONATO.—Vous ne deviendrez jamais folle, ma nièce.

BÉATRICE.—Non, jusqu'à ce que le mois de janvier soit chaud.

LE MESSAGER.—Voici don Pèdre qui s'approche.

(Entrent don Pèdre, accompagné de Balthazar et autres domestiques; Claudio, Bénédick, don Juan.)

DON PÈDRE.—Don seigneur Léonato, vous venez vous-même chercher les embarras. Le monde est dans l'usage d'éviter la dépense; mais vous courez au-devant.

LÉONATO.—Jamais les embarras n'entrèrent chez moi sous la forme de Votre Altesse; car, l'embarras parti, le contentement resterait.