Oh ! connaître ce secret ! Mais il était incapable de penser clairement. La rage qu’il éprouvait en voyant qu’ils lui avaient échappé le consumait et troublait son esprit.
Il se dirigea en courant vers la forêt ; à peine eut-il le temps de gagner l’obscurité des taillis où personne ne le voyait qu’il se mit à verser un torrent de larmes brûlantes, en hurlant : « Menteurs ! hypocrites ! coquins ! » insultes qu’il lui fallait cracher à tout prix pour ne pas étouffer. La mauvaise humeur, l’impatience, la colère et la haine de ces derniers jours, contenues par un effort d’enfant s’imaginant être devenu une grande personne, faisaient éclater sa poitrine et se traduisaient par des larmes. C’était la dernière crise de pleurs de son enfance, la plus sauvage ; pour la dernière fois il s’abandonnait, comme une femme, à la volupté des larmes. En cette heure de rage sans frein, il pleura tout ce qu’il y avait en lui de confiance, d’amour, de foi et de respect ; il pleura toute son enfance.
Lorsqu’il rentra à l’hôtel Edgar était un autre être. Il était calme et réfléchi. D’abord il alla dans sa chambre, se lava soigneusement le visage et les yeux, pour ne pas donner aux deux complices la joie de voir les traces de ses larmes. Puis il se prépara à prendre sa revanche. Et il attendit patiemment, sans aucune nervosité.
Le hall était plein de monde quand revint la voiture des deux fuyards. Quelques messieurs jouaient aux échecs ; d’autres lisaient le journal, les dames bavardaient. L’enfant s’était assis parmi eux sans faire un mouvement ; il était un peu pâle et ses regards frémissaient. Lorsque sa mère et le baron eurent franchi la porte, un peu gênés de le voir si brusquement et au
moment où ils allaient balbutier l’excuse préparée, il se dressa devant eux, tranquillement, et dit d’un air de défi : « Monsieur, je voudrais vous dire quelque chose. » Le baron se sentit mal à l’aise. Il était là comme un délinquant pris en flagrant délit. « Oui, oui, tout à l’heure, dans un instant. »
Mais Edgar éleva la voix et dit d’un ton net et tranchant, pour que tout le monde pût l’entendre : « C’est maintenant que je veux vous parler. Vous vous êtes conduit indignement. Vous m’avez menti. Vous saviez que maman m’attendait, vous êtes... »
— Edgar, s’écria la mère qui voyait tous les regards dirigés sur elle. Et elle se précipita sur l’enfant.
Mais lorsque celui-ci s’aperçut qu’elle voulait dominer le bruit de ses paroles, il se mit à crier soudain de sa voix la plus forte :
— Je vous le répète en public. Vous avez menti abominablement et c’est là une vilenie, une action misérable.
Le baron était devenu pâle, les gens le regardaient fixement ; quelques personnes souriaient.
La mère empoigna l’enfant tremblant d’émotion : « Rentre tout de suite dans ta chambre, ou je te rosse ici devant tout le monde », fit-elle d’une voix étranglée.
Mais déjà Edgar avait retrouvé son calme. Il était fâché de s’être emporté pareillement. Il était mécontent de lui-même, car, en vérité, il voulait provoquer froidement le baron, mais sa fureur avait été plus forte que sa volonté. Sans hâte aucune, avec calme, il se dirigea vers l’escalier.
« Monsieur, excusez son impertinence. Vous le savez, c’est un enfant nerveux », balbutia encore sa mère, troublée par les regards un peu ironiques des gens qui l’entouraient et la dévisageaient. Rien au monde ne lui était plus désagréable que le scandale et elle savait qu’il
ne lui fallait pas perdre contenance. Au lieu de s’enfuir aussitôt, elle alla d’abord vers le portier, lui demanda s’il y avait des lettres et lui parla d’autres choses indifférentes, puis elle monta dans sa chambre comme si rien ne s’était passé. Mais derrière elle ondoyait un léger sillage de chuchotements et de rires étouffés.
En gravissant l’escalier, elle ralentit le pas. Elle avait toujours été embarrassée devant les situations graves, et, en vérité, elle avait peur d’une explication avec l’enfant. Elle ne pouvait pas nier sa culpabilité ; d’autre part, elle craignait le regard de son fils, ce regard nouveau, étrange, si singulier, qui lui enlevait toute assurance et la paralysait. La peur lui conseilla d’employer la douceur. Car, elle le savait, si elle luttait, cet enfant exaspéré serait le plus fort.
Elle ouvrit la porte tout doucement.
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