L’irrésolution que Consuelo lut dans ses yeux fut pour elle un coup de poignard.
« Ah ! tiens, s’écria-t-elle, je vois bien que je ne te plais pas ainsi. À qui donc semblerai-je supportable, si celui qui m’aime n’éprouve rien d’agréable en me regardant ?
– Attends donc un peu, répondit Anzoleto ; d’abord je suis frappé de ta belle taille dans ce long corsage, et de ton air distingué sous ces dentelles. Tu portes à merveille les larges plis de ta jupe. Mais je regrette tes cheveux noirs... du moins je le crois... Mais c’est la tenue du peuple, et il faut que tu sois demain une signora.
– Et pourquoi faut-il que je sois une signora ? Moi, je hais cette poudre qui affadit, et qui vieillit les plus belles. J’ai l’air empruntée sous ces falbalas ; en un mot, je me déplais ainsi, et je vois que tu es de mon avis. Tiens, j’ai été ce matin à la répétition, et j’ai vu la Clorinda qui essayait aussi une robe neuve. Elle était si pimpante, si brave, si belle (oh ! celle-là est heureuse, et il ne faut pas la regarder deux fois pour s’assurer de sa beauté), que je me sens effrayée de paraître à côté d’elle devant le comte.
– Sois tranquille, le comte l’a vue ; mais il l’a entendue aussi.
– Et elle a mal chanté ?
– Comme elle chante toujours.
– Ah ! mon ami, ces rivalités gâtent le cœur. Il y a quelque temps si la Clorinda, qui est une bonne fille malgré sa vanité, eût fait fiasco devant un juge, je l’aurais plainte du fond de l’âme, j’aurais partagé sa peine et son humiliation. Et voilà qu’aujourd’hui je me surprends à m’en réjouir ! Lutter, envier, chercher à se détruire mutuellement ; et tout cela pour un homme qu’on n’aime pas, qu’on ne connaît pas ! Je me sens affreusement triste, mon cher amour, et il me semble que je suis aussi effrayée de l’idée de réussir que de celle d’échouer. Il me semble que notre bonheur prend fin, et que demain après l’épreuve, quelle qu’elle soit, je rentrerai dans cette pauvre chambre, tout autre que je n’y ai vécu jusqu’à présent. »
Deux grosses larmes roulèrent sur les joues de Consuelo.
« Eh bien, tu vas pleurer, à présent ? s’écria Anzoleto. Y songes-tu ? tu vas ternir tes yeux et gonfler tes paupières ? Tes yeux, Consuelo ! ne va pas gâter tes yeux, qui sont ce que tu as de plus beau.
– Ou de moins laid ! dit-elle en essuyant ses larmes. Allons, quand on se donne au monde, on n’a même pas le droit de pleurer. »
Son ami s’efforça de la consoler, mais elle fut amèrement triste tout le reste du jour ; et le soir, lorsqu’elle se retrouva seule, elle ôta soigneusement sa poudre, décrêpa et lissa ses beaux cheveux d’ébène, essaya une petite robe de soie noire encore fraîche qu’elle mettait ordinairement le dimanche, et reprit confiance en elle-même en se retrouvant devant sa glace telle qu’elle se connaissait. Puis elle fit sa prière avec ferveur, songea à sa mère, s’attendrit, et s’endormit en pleurant. Lorsque Anzoleto vint la chercher le lendemain pour la conduire à l’église, il la trouva à son épinette, habillée et peignée comme tous les dimanches, et repassant son morceau d’épreuve.
« Eh quoi ! s’écria-t-il, pas encore coiffée, pas encore parée ! L’heure approche. À quoi songes-tu, Consuelo ?
– Mon ami, répondit-elle avec résolution, je suis parée, je suis coiffée, je suis tranquille. Je veux rester ainsi. Ces belles robes ne me vont pas. Mes cheveux noirs te plaisent mieux que la poudre. Ce corsage ne gêne pas ma respiration. Ne me contredis pas : mon parti est pris. J’ai demandé à Dieu de m’inspirer, et à ma mère de veiller sur ma conduite. Dieu m’a inspiré d’être modeste et simple. Ma mère est venue me voir en rêve, et elle m’a dit ce qu’elle me disait toujours : Occupe-toi de bien chanter, la Providence fera le reste. Je l’ai vue qui prenait ma belle robe, mes dentelles et mes rubans, et qui les rangeait dans l’armoire ; après quoi, elle a placé ma robe noire et ma mantille de mousseline blanche sur la chaise à côté de mon lit. Aussitôt que j’ai été éveillée, j’ai serré la toilette comme elle l’avait fait dans mon rêve, et j’ai mis la robe noire et la mantille : me voilà prête. Je me sens du courage depuis que j’ai renoncé à plaire par des moyens dont je ne sais pas me servir. Tiens, écoute ma voix, tout est là, vois-tu. »
Elle fit un trait.
« Juste ciel ! nous sommes perdus ! s’écria Anzoleto ; ta voix est voilée, et tes yeux sont rouges. Tu as pleuré hier soir, Consuelo ; voilà une belle affaire ! Je te dis que nous sommes perdus, que tu es folle avec ton caprice de t’habiller de deuil un jour de fête ; cela porte malheur et cela t’enlaidit.
1 comment