Consuelo se rappelait que, selon la chronique du pays, le village qui couvrait la colline appelée Schreckenstein depuis l’incendie dépendait de la forteresse des Géants, et avait avec elle de secrètes intelligences en temps de siège. Elle était donc dans la logique et dans la vérité en cherchant cette communication et cette issue.
Elle profita de l’absence de Zdenko pour descendre dans le puits. Auparavant elle se mit à genoux, recommanda son âme à Dieu, fit naïvement un grand signe de croix, comme elle l’avait fait dans la coulisse du théâtre de San Samuel avant de paraître pour la première fois sur la scène ; puis elle descendit bravement l’escalier tournant et rapide, cherchant à la muraille les points d’appui qu’elle avait vu prendre à Zdenko, et ne regardant point au-dessous d’elle de peur d’avoir le vertige. Elle atteignit la chaîne de fer sans accident ; et lorsqu’elle l’eut saisie, elle se sentit plus tranquille, et eut le sang-froid de regarder au fond du puits. Il y avait encore de l’eau, et cette découverte lui causa un instant d’émoi. Mais la réflexion lui vint aussitôt. Le puits pouvait être très profond ; mais l’ouverture du souterrain qui amenait Zdenko ne devait être située qu’à une certaine distance au-dessous du sol. Elle avait déjà descendu cinquante marches avec cette adresse et cette agilité que n’ont pas les jeunes filles élevées dans les salons, mais que les enfants du peuple acquièrent dans leurs jeux, et dont ils conservent toute leur vie la hardiesse confiante. Le seul danger véritable était de glisser sur les marches humides. Consuelo avait trouvé dans un coin, en furetant, un vieux chapeau à larges bords que le baron Frédéric avait longtemps porté à la chasse. Elle l’avait coupé, et s’en était fait des semelles qu’elle avait attachées à ses souliers avec des cordons en manière de cothurnes. Elle avait remarqué une chaussure analogue aux pieds de Zdenko dans sa dernière expédition nocturne. Avec ces semelles de feutre, Zdenko marchait sans faire aucun bruit dans les corridors du château, et c’est pour cela qu’il lui avait semblé glisser comme une ombre plutôt que marcher comme un homme. C’était aussi jadis la coutume des hussites de chausser ainsi leurs espions, et même leurs chevaux, lorsqu’ils effectuaient une surprise chez l’ennemi.
À la cinquante-deuxième marche, Consuelo trouva une dalle plus large et une arcade basse en ogive. Elle n’hésita point à y entrer, et à s’avancer à demi courbée dans une galerie souterraine étroite et basse, toute dégouttante de l’eau qui venait d’y couler, travaillée et voûtée de main d’homme avec une grande solidité.
Elle y marchait sans obstacle et sans terreur depuis environ cinq minutes, lorsqu’il lui sembla entendre un léger bruit derrière elle. C’était peut-être Zdenko qui redescendait et qui reprenait le chemin du Schreckenstein. Mais elle avait de l’avance sur lui, et doubla le pas pour n’être pas atteinte par ce dangereux compagnon de voyage. Il ne pouvait pas se douter qu’elle l’eût devancé. Il n’avait pas de raison pour courir après elle ; et pendant qu’il s’amuserait à chanter et à marmotter tout seul ses complaintes et ses interminables histoires, elle aurait le temps d’arriver et de se mettre sous la protection d’Albert.
Mais le bruit qu’elle avait entendu augmenta, et devint semblable à celui de l’eau qui gronde, lutte, et s’élance. Qu’était-il donc arrivé ? Zdenko s’était-il aperçu de son dessein ? Avait-il lâché l’écluse pour l’arrêter et l’engloutir ? Mais il n’avait pu le faire avant d’avoir passé lui-même, et il était derrière elle. Cette réflexion n’était pas très rassurante. Zdenko était capable de se dévouer à la mort, de se noyer avec elle plutôt que de trahir la retraite d’Albert. Cependant Consuelo ne voyait point de pelle, point d’écluse, pas une pierre sur son chemin qui put retenir l’eau, et la faire ensuite écouler. Cette eau ne pouvait être qu’en avant de son chemin, et le bruit venait de derrière elle. Cependant il grandissait, il montait, il approchait avec le rugissement du tonnerre.
Tout à coup Consuelo, frappée d’une horrible découverte, s’aperçut que la galerie, au lieu de monter, descendait d’abord en pente douce, et puis de plus en plus rapidement. L’infortunée s’était trompée de chemin. Dans son empressement et dans la vapeur épaisse qui s’exhalait du fond de la citerne, elle n’avait pas vu une seconde ogive, beaucoup plus large, et située vis-à-vis de celle qu’elle avait prise. Elle s’était enfoncée dans le canal qui servait de déversoir à l’eau du puits, au lieu de remonter celui qui conduisait au réservoir ou à la source. Zdenko, s’en allant par une route opposée, venait de lever tranquillement la pelle ; l’eau tombait en cascade au fond de la citerne, et déjà la citerne était remplie jusqu’à la hauteur du déversoir ; déjà elle se précipitait dans la galerie où Consuelo fuyait éperdue et glacée d’épouvante. Bientôt cette galerie, dont la dimension était ménagée de manière à ce que la citerne, perdant moins d’eau qu’elle n’en recevait de l’autre bouche, put se remplir, allait se remplir à son tour.
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