Simplice sentait avec angoisse venir l’instant où elle allait disparaître.
Et, désespéré, haletant, il courait, il courait.
VIII
Il entendit les vieux chênes qui lui criaient avec colère :
– Que ne disais-tu que tu étais un homme ? Nous nous serions cachés de toi, nous t’aurions refusé nos leçons, pour que ton œil de ténèbres ne pût voir Fleur-des-eaux, l’ondine de la source. Tu t’es présenté à nous avec l’innocence des bêtes, et voici qu’aujourd’hui tu montres l’esprit des hommes. Regarde, tu écrases les scarabées, tu arraches nos feuilles, tu brises nos branches. Le vent d’égoïsme t’emporte, tu veux nous voler notre âme.
Et l’aubépine ajouta :
– Simplice, arrête, par pitié ! Lorsque l’enfant capricieux désire respirer le parfum de mes bouquets étoilés, que ne les laisse-t-il s’épanouir librement sur la branche ! Il les cueille et n’en jouit qu’une heure.
Et la mousse dit à son tour :
– Arrête, Simplice, viens rêver sur le velours de mon frais tapis. Au loin, entre les arbres, tu verras se jouer Fleur-des-eaux. Tu la verras se baigner dans la source, se jetant au cou des colliers de perles humides. Nous te mettrons de moitié dans la joie de son regard : comme à nous, il te sera permis de vivre pour la voir.
Et toute la forêt reprit :
– Arrête, Simplice, un baiser doit la tuer, ne donne pas ce baiser. Ne le sais-tu pas ? la brise du soir, notre messagère, ne te l’a-t-elle pas dit ? Fleur-des-eaux est la fleur céleste dont le parfum donne la mort. Hélas ! la pauvrette, sa destinée est étrange. Pitié pour elle, Simplice, ne bois pas son âme sur ses lèvres.
IX
Fleur-des-eaux se tourna et vit Simplice. Elle sourit, elle lui fit signe d’approcher, en disant à la forêt :
– Voici venir le bien-aimé.
Il y avait trois jours, trois heures, trois minutes, que le prince poursuivait l’ondine. Les paroles des chênes grondaient encore derrière lui ; il fut tenté de s’enfuir.
Fleur-des-eaux lui pressait déjà les mains. Elle se dressait sur ses petits pieds, mirant son sourire dans les yeux du jeune homme.
– Tu as bien tardé, dit-elle. Mon cœur te savait dans la forêt. J’ai monté sur un rayon de lune et je t’ai cherché trois jours, trois heures, trois minutes.
Simplice se taisait, retenant son souffle. Elle le fit asseoir au bord de la fontaine ; elle le caressait du regard ; et lui, il la contemplait longuement.
– Ne me reconnais-tu pas ? reprit-elle. Je t’ai vu souvent en rêve. J’allais à toi, tu me prenais la main, puis nous marchions, muets et frémissants. Ne m’as-tu pas vu ? ne te rappelles-tu pas tes rêves ?
Et comme il ouvrait enfin la bouche :
– Ne dis rien, reprit-elle encore. Je suis Fleur-des-eaux, et tu es le bien-aimé. Nous allons mourir.
X
Les grands arbres se penchaient pour mieux voir le jeune couple. Ils tressaillaient de douleur, ils se disaient de taillis en taillis que leur âme allait prendre son vol.
Toutes les voix firent silence. Le brin d’herbe et le chêne se sentaient pris d’une immense pitié. Il n’y avait plus dans les feuillages un seul cri de colère. Simplice, le bien-aimé de Fleur-des-eaux, était le fils de la vieille forêt.
Elle avait appuyé la tête à son épaule. Se penchant au-dessus du ruisseau, tous deux se souriaient. Parfois, levant le front, ils suivaient du regard la poussière d’or qui tremblait dans les derniers rayons du soleil. Ils s’enlaçaient lentement, lentement. Ils attendaient la première étoile pour se confondre et s’envoler à jamais.
Aucune parole ne troublait leur extase. Leurs âmes, qui montaient à leurs lèvres, s’échangeaient dans leurs haleines.
Le jour pâlissait, les lèvres des deux amants se rapprochaient de plus en plus.
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