Contes choisis

MARK TWAIN

 

Contes choisis

 

 

 

TRADUITS PAR GABRIEL DE LAUTREC

PRÉFACE DE HUBERT JUIN

LE LIVRE DE POCHE

© Mercure de France, 1962. 

© Éditions Gallimard et 

 

Librairie Générale Française

pour la préface, 1969.

 

 

 

PRÉFACE

 

 

Mark Twain, c'est vrai, traverse la littérature américaine dans un éclat de rire. Dans cette perspective, il a des héritiers directs : ce sont les Marx Brother's. C'est que son humour a le primesaut de l'absurde. Il ment avec l'aisance de quelqu'un qui invente le monde et rectifie, à sa guise, les lois de l'univers. Il ne faudrait pas s'y tromper, cependant : ce n'est pas de la démence, mais la froideur méticuleuse d'un manieur de mots. Ce libéral joue les naïfs : il prend la parole pour monnaie franche, et feint de n'en douter jamais, ce qui est sa manière de démontrer les erreurs et de démasquer le mensonge. Ce moraliste impénitent jouit d'une santé remarquable : il ne s'étonne de rien, ce qui fait qu'il nous étonne sans cesse ; il se donne les gants de ne douter nullement, ce qui nous fait douter sans fin. Mark Twain présente un univers huilé d'incertitude : les lignes droites y deviennent courbes par la seule vertu de l'attention. Cet écrivain est l'un des plus attentifs qui se puissent voir : il a de la bonne volonté, et de l'affection, à revendre. Il n'en veut qu'aux méchants, qu'il croit perfectibles. Il est optimiste par emportement. Rien ne le déçoit suffisamment pour l'abattre : il se contente d'espérer, mais comme les sanguins pour qui rien ne va assez vite. Mark Twain, c'est une féerie, celle des étoiles du drapeau U.S. 

Il ne croit pas au meilleur des mondes, hic et nunc : il est pour cela, de vocation, par trop réformateur. Notre chance, c'est qu'il ait pris les sermons en horreur : il corrige en soulignant les ridicules, ce qui est une bonne méthode, mais qui ne peut convaincre que les gens intelligents. Mark Twain est ainsi fait : il ne parvient pas à se persuader de l'existence des imbéciles. Au naturel, c'est un errant. Comme Gorki. Ils ont ceci en commun, le Russe et l'Américain, de vagabonder dans un immense espace, et l'étendue est telle que les plus étranges et insolites héros s'y peuvent loger, la loi n'y est pas donnée au plus fort mais au plus excentrique (et n'est-il pas de coutume qu'à la rencontre d'un personnage singulier n'importe qui s'exclame : « C'est un monde » ?), – si bien que, l'un et l'autre, étant servis par la démesure naturelle, édifient un univers d'« exemples ». Je m'explique : lorsque l'axe géographique s'incarne en quelque chose d'aussi vaste et turbulent que le Mississippi d'un côté ou la Volga de l'autre, il est manifeste que les rencontres seront étonnantes, et que la règle commune (j'entends : commune à une société dessinée en des bornes plus étroites) éclatera jusqu'à la démesure. Sous cette réserve, qui est capitale et dit tout : c'est que l'homme en demeure le seul centre. Mais un homme qui n'a pas l'horizon sous le nez.

Je crois bien qu'on s'est aperçu de la vastitude de la Russie par ce livre, le roman des romans, qui est Guerre et Paix de Tolstoï. De la même façon, l'Amérique (ou les Amériques, comme se plaisent à dire certains) fut faite immense par deux jeunes gens : Hucklebeny Finn et Tom Sawyer, – c'est-à-dire par un écrivain posé de biais qui a pour nom Mark Twain. Lui, on ne le voit que de profil : ce n'est pas de la coquetterie non plus que de la duplicité, mais plutôt l'opération d'une sorte de pudeur, l'écrivain sacrifiant sa gloire aux vérités de son discours. Mark Twain eut la gloire : sa vieillesse est une apothéose, c'est le Père Hugo des antipodes. Si bien que la littérature américaine qui est, avec naturel, des plus riches, naît de cette idée d'espace qui est dans Twain, et de cette révélation de l'ampleur qu'accomplit Walt Whitman. Il y a eu le Mayflower puis ces deux types-la. Ajoutons un nombre non négligeable de felouques à chair noire, des commerces de peau jaune, des inventions à ne pas croire, des gestes héroïques et des faits crapuleux : c'est l'Amérique. Il y a Fort-Apache et le massacre de la Saint-Valentin, mais aussi les negro spirituals et l'effondrement financier. Ce n'est pas l'Amérique qui invente le cinéma, mais c'est elle qui le fait. Il y a de quoi rire ? C'est le parti de Mark Twain, Américain à cent dix pour cent.

 

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Lorsqu'on dit à Mark Twain que l'homme est le centre de l'univers créé, eh bien ! Mark Twain n'est pas d'accord : au bas de l'échelle, dit-il, au plus bas, tout petit ce monsieur qui parce qu'il pense s'imagine régir.