En voilà une gueuse !
– Je ne suis pas une gueuse ; je suis une
demoiselle distinguée », dit l’aiguille.
Mais personne ne l’entendait. En attendant, la
cire s’était détachée, et l’aiguille était redevenue noire des
pieds à la tête ; mais le noir fait paraître la taille plus
svelte, elle se croyait donc plus fine que jamais.
« Voilà une coque d’œuf qui
arrive », dirent les gamins ; et ils attachèrent
l’aiguille à la coque.
« À la bonne heure ! dit-elle ;
maintenant je dois faire de l’effet, puisque je suis noire et que
les murailles qui m’entourent sont toutes blanches. On m’aperçoit,
au moins ! Pourvu que je n’attrape pas le mal de mer ;
cela me briserait. » Elle n’eut pas le mal de mer et ne fut
point brisée.
« Quelle chance d’avoir un ventre d’acier
quand on voyage sur mer ! C’est par là que je vaux mieux qu’un
homme. Qui peut se flatter d’avoir un ventre pareil ? Plus on
est fin, moins on est exposé. »
Crac ! fit la coque. C’est une voiture de
roulier qui passait sur elle.
« Ciel ! Que je me sens
oppressée ! dit l’aiguille ; je crois que j’ai le mal de
mer : je suis toute brisée. »
Elle ne l’était pas, quoique la voiture eût
passé sur elle. Elle gisait comme auparavant, étendue de tout son
long dans le ruisseau. Qu’elle y reste !
Chapitre 2
Les amours d’un faux col
Il y avait une fois un élégant cavalier, dont
tout le mobilier se composait d’un tire-botte et d’une brosse à
cheveux. – Mais il avait le plus beau faux col qu’on eût jamais vu.
Ce faux col était parvenu à l’âge où l’on peut raisonnablement
penser au mariage ; et un jour, par hasard, il se trouva dans
le cuvier à lessive en compagnie d’une jarretière. « Mille
boutons ! s’écria-t-il, jamais je n’ai rien vu d’aussi fin et
d’aussi gracieux. Oserai-je, mademoiselle, vous demander votre
nom ?
– Que vous importe, répondit la
jarretière.
– Je serais bien heureux de savoir où vous
demeurez. » Mais la jarretière, fort réservée de sa nature, ne
jugea pas à propos de répondre à une question si indiscrète.
« Vous êtes, je suppose, une espèce de ceinture ?
continua sans se déconcerter le faux col, et je ne crains pas
d’affirmer que les qualités les plus utiles sont jointes en vous
aux grâces les plus séduisantes.
– Je vous prie, monsieur, de ne plus me
parler, je ne pense pas vous en avoir donné le prétexte en aucune
façon.
– Ah ! mademoiselle, avec une aussi jolie
personne que vous, les prétextes ne manquent jamais. On n’a pas
besoin de se battre les flancs : on est tout de suite inspiré,
entraîné.
– Veuillez vous éloigner, monsieur, je vous
prie, et cesser vos importunités.
– Mademoiselle, je suis un gentleman, dit
fièrement le faux col ; je possède un tire-botte et une brosse
à cheveux. » Il mentait impudemment : car c’était à son
maître que ces objets appartenaient ; mais il savait qu’il est
toujours bon de se vanter.
« Encore une fois, éloignez-vous, répéta
la jarretière, je ne suis pas habituée à de pareilles manières.
– Eh bien ! vous n’êtes qu’une
prude ! » lui dit le faux col qui voulut avoir le dernier
mot. Bientôt après on les tira l’un et l’autre de la lessive, puis
ils furent empesés, étalés au soleil pour sécher, et enfin placés
sur la planche de la repasseuse. La patine à repasser arriva
[1]. « Madame, lui dit le faux col, vous
m’avez positivement ranimé : je sens en moi une chaleur
extraordinaire, toutes mes rides ont disparu. Daignez, de grâce, en
m’acceptant pour époux, me permettre de vous consacrer cette
nouvelle jeunesse que je vous dois.
– Imbécile ! » dit la machine en
passant sur le faux col avec la majestueuse impétuosité d’une
locomotive qui entraîne des wagons sur le chemin de fer. Le faux
col était un peu effrangé sur ses bords, une paire de ciseaux se
présenta pour l’émonder.
« Oh ! lui dit le faux col, vous
devez être une première danseuse ; quelle merveilleuse agilité
vous avez dans les jambes ! Jamais je n’ai rien vu de plus
charmant ; aucun homme ne saurait faire ce que vous
faites.
– Bien certainement, répondit la paire de
ciseaux en continuant son opération.
– Vous mériteriez d’être comtesse ; tout
ce que je possède, je vous l’offre en vrai gentleman (c’est-à-dire
moi, mon tire-botte et ma brosse à cheveux).
– Quelle insolence ! s’écria la paire de
ciseaux ; quelle fatuité ! » Et elle fit une
entaille si profonde au faux col, qu’elle le mit hors de
service.
« Il faut maintenant, pensa-t-il, que je
m’adresse à la brosse à cheveux. » « Vous avez,
mademoiselle, la plus magnifique chevelure ; ne pensez-vous
pas qu’il serait à propos de vous marier ?
– Je suis fiancée au tire-botte,
répondit-elle.
– Fiancée ! » s’écria le faux
col.
Il regarda autour de lui, et ne voyant plus
d’autre objet à qui adresser ses hommages, il prit, dès ce moment,
le mariage en haine. Quelque temps après, il fut mis dans le sac
d’un chiffonnier, et porté chez le fabricant de papier. Là, se
trouvait une grande réunion de chiffons, les fins d’un côté, et les
plus communs de l’autre. Tous ils avaient beaucoup à raconter, mais
le faux col plus que pas un. Il n’y avait pas de plus grand
fanfaron. « C’est effrayant combien j’ai eu d’aventures,
disait il, et surtout d’aventures d’amour ! mais aussi j’étais
un gentleman des mieux posés ; j’avais même un tire-botte et
une brosse dont je ne me servais guère. Je n’oublierai jamais ma
première passion : c’était une petite ceinture bien gentille
et gracieuse au possible ; quand je la quittai, elle eut tant
de chagrin qu’elle alla se jeter dans un baquet plein d’eau. Je
connus ensuite une certaine veuve qui était littéralement tout en
feu pour moi ; mais je lui trouvais le teint par trop animé,
et je la laissai se désespérer si bien qu’elle en devint noire
comme du charbon. Une première danseuse, véritable démon pour le
caractère emporté, me fit une blessure terrible, parce que je me
refusais à l’épouser. Enfin, ma brosse à cheveux s’éprit de moi si
éperdument qu’elle en perdit tous ses crins. Oui, j’ai beaucoup
vécu ; mais ce que je regrette surtout, c’est la jarretière…
je veux dire la ceinture qui se noya dans le baquet. Hélas !
il n’est que trop vrai, j’ai bien des crimes sur la
conscience ; il est temps que je me purifie en passant à
l’état de papier blanc. » Et le faux col fut, ainsi que les
autres chiffons, transformé en papier.
Mais la feuille provenant de lui n’est pas
restée blanche – c’est précisément celle sur laquelle a été d’abord
retracée sa propre histoire. Tous ceux qui, comme lui, ont
accoutumé de se glorifier de choses qui sont tout le contraire de
la vérité, ne sont pas de même jetés au sac du chiffonnier, changés
en papier et obligés, sous cette forme, de faire l’aveu public et
détaillé de leurs hâbleries. Mais qu’ils ne se prévalent pas trop
de cet avantage ; car, au moment même où ils se vantent,
chacun lit sur leur visage, dans leur air et dans leurs yeux, aussi
bien que si c’était écrit : « Il n’y a pas un mot de vrai
dans ce que je vous dis. Au lieu de grand vainqueur que je prétends
être, ne voyez en moi qu’un chétif faux col dont un peu d’empois et
de bavardage composent tout le mérite. »
Chapitre 3
Les aventures du chardon
Devant un riche château seigneurial s’étendait
un beau jardin, bien tenu, planté d’arbres et de fleurs rares.
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