Le
compagnon de route l’en détourna également mais Johannès était
d’avis que tout irait bien, il brossa ses chaussures et son habit,
lava son visage et ses mains, peigna avec soin ses beaux cheveux
blonds et partit tout seul vers la ville pour monter au
château.
– Entrez, dit le vieux roi lorsque Johannès
frappa à la porte.
Le jeune homme ouvrit et le vieux roi, en robe
de chambre et pantoufles brodées, vint à sa rencontre, couronne
d’or sur la tête, sceptre dans une main et pomme d’or dans
l’autre.
– Attendez ! fit-il prenant la pomme d’or
sous le bras pour pouvoir tendre la main.
Mais quand il eut appris que c’était encore un
prétendant, il se mit à pleurer si fort que le sceptre et la pomme
roulèrent à terre, il dut s’essuyer les yeux.
– Renonce, disait-il, ça tournera mal pour toi
comme pour tous les autres. Viens voir ici.
Il conduisit le jeune homme dans le jardin de
la princesse, absolument terrifiant. Dans les branches des arbres
pendaient trois, quatre fils de rois qui avaient sollicité la main
de la princesse mais n’avaient pu résoudre l’énigme qu’elle leur
proposait. Chaque fois que le vent soufflait, leurs squelettes
s’entrechoquaient et les petits oiseaux épouvantés n’osaient plus
venir là, des ossements humains servaient de tuteurs pour les
fleurs et, dans tous les pots, grimaçaient des têtes de morts. Quel
jardin pour une princesse !
– Tu vois, dit le vieux roi, il en ira de toi
comme des autres, maintenant que tu sais, abandonne ! Tu me
rends vraiment malheureux, tout ceci me fend le cœur.
Johannès baisa la main du vieux roi affirmant
que tout irait bien puisqu’il était si amoureux de la ravissante
princesse.
À ce moment, la princesse à cheval, suivie de
ses dames d’honneur, entra dans la cour du château. Ils allèrent
donc au-devant d’elle pour la saluer. Charmante, elle tendit la
main au jeune homme qui l’en aima encore davantage. Bien sûr il
était impossible qu’elle fût une sorcière vilaine et méchante ce
dont tout le monde l’accusait.
Ils montèrent dans le grand salon, de petits
pages offrirent des confitures et des croquignoles, mais le vieux
roi était si triste qu’il ne pouvait rien manger. Il fut alors
décidé que Johannès monterait au château le lendemain matin, les
juges et tout le conseil y siégeraient et entendraient comment il
se tirerait de l’épreuve. S’il en triomphait, il lui faudrait
revenir deux fois, mais personne encore n’avait donné de réponse à
la première question, c’est pourquoi ils avaient tous perdu la vie.
Johannès n’était nullement inquiet de ce qu’il lui arriverait, il
était au contraire joyeux, ne pensait qu’à la belle princesse et
demeurait convaincu que le bon Dieu l’aiderait. Comment ? Il
n’en avait aucune idée et, de plus, ne voulait pas y penser. Il
dansait tout au long de la route en retournant à l’auberge où
l’attendait son camarade.
Là, il ne tarit pas sur la façon charmante
dont la princesse l’avait reçu et sur sa beauté. Il avait hâte
d’être au lendemain, de monter au château, de tenter sa chance.
Mais son camarade hochait la tête tout triste.
– J’ai tant d’amitié pour toi, disait-il, nous
aurions pu rester ensemble longtemps encore et il me faut déjà te
perdre. Pauvre cher garçon. J’ai envie de pleurer mais je ne veux
pas troubler ta joie en cette dernière soirée qui nous reste.
Soyons gais, très gais, demain quand tu seras parti, je pourrai
pleurer.
Dans la ville, le peuple avait très vite
appris qu’il y avait un nouveau prétendant et il y régnait une
grande désolation.
Le théâtre était fermé, dans les pâtisseries
on avait noué un crêpe noir autour des petits cochons en sucre, le
roi et les prêtres étaient à genoux dans l’église.
Le soir, le compagnon de route prépara un
grand bol de punch et dit à son ami que maintenant il fallait être
très gai et boire à la santé de la princesse. Quand Johannès eut bu
les deux verres de punch, il fut pris d’un grand sommeil. Son
camarade le prit doucement sur sa chaise et le porta au lit, puis
il prit les grandes ailes qu’il avait coupées au cygne, les fixa
fermement à ses épaules, mit dans sa poche la plus grande des
verges que lui avait données la vieille femme à la jambe cassée,
ouvrit la fenêtre et s’envola par-dessus la ville, tout droit au
château.
Le silence régnait sur la ville. Quand
l’horloge sonna minuit moins le quart, la fenêtre s’ouvrit et la
princesse s’envola en grande cape blanche avec de longues ailes
noires par-dessus la ville, vers une haute montagne. Le camarade de
route se rendit invisible de sorte qu’elle ne pouvait pas du tout
le voir, il vola derrière elle et la fouetta jusqu’au sang tout au
long de la route. Quelle course à travers les airs ! Le vent
s’engouffrait dans sa cape qui s’étalait de tous côtés.
– Quelle grêle ! Quelle grêle !
soupirait la princesse à chaque coup de fouet qu’elle recevait.
Mais c’était bien fait pour elle.
Elle atteignit enfin la montagne et frappa. Un
roulement de tonnerre se fit entendre quand la montagne s’ouvrit et
la princesse entra suivie du compagnon que personne ne pouvait voir
puisqu’il était invisible. Ils traversèrent un long corridor aux
murs étincelant étrangement. C’étaient des milliers d’araignées
phosphorescentes. Ils arrivèrent ensuite dans une grande salle
construite d’argent et d’or, des fleurs rouges et bleues larges
comme des tournesols flamboyaient sur les murs, mais on ne pouvait
pas les cueillir car leurs tiges étaient d’ignobles serpents
venimeux et les fleurs du feu sortaient de leurs gueules.
Tout le plafond était tapissé de vers luisants
et de chauves-souris bleu de ciel qui battaient de leurs ailes
translucides. L’aspect en était fantastique.
Au milieu du parquet un trône était placé,
porté par quatre squelettes de chevaux dont les harnais étaient
faits d’araignées rouge feu. Le trône lui-même était de verre très
blanc, les coussins pour s’y asseoir de petites souris noires se
mordant l’une l’autre la queue et, au-dessus un dais de toiles
d’araignées roses s’ornait de jolies petites mouches vertes
scintillant comme des pierres précieuses. Un vieux sorcier,
couronne d’or sur sa vilaine tête et sceptre en main, était assis
sur le trône. Il baisa la princesse au front, la fit asseoir auprès
de lui sur ce siège précieux, et la musique commença.
De grosses sauterelles noires jouaient de la
guimbarde et le hibou n’ayant pas de tambour se tapait sur le
ventre. Drôle de concert ! De tout petits lutins, un feu
follet à leur bonnet, dansaient la ronde dans la salle, personne ne
pouvait voir le compagnon de route placé derrière le trône qui,
lui, voyait et entendait tout. Les courtisans qui entraient
maintenant semblaient gens convenables et distingués mais pour
celui qui savait regarder, il voyait bien ce qu’ils étaient
vraiment : des manches à balai surmontés de têtes de choux
auxquels la magie avait donné la vie et des vêtements richement
brodés.
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