Il était plongé dans les idées les plus
riantes. Au matin, la fenêtre du cellier était couverte de givre,
formant les plus jolies arabesques qu’un Bonhomme de neige pût
souhaiter ; seulement, elles cachaient le poêle. La neige
craquait plus que jamais ; un beau froid sec, un vrai plaisir
pour un Bonhomme de neige.
Un coq chantait en regardant le froid soleil
d’hiver. Au loin dans la campagne, on entendait résonner la terre
gelée sous les pas des chevaux s’en allant au labour, pendant que
le conducteur faisait gaiement claquer son fouet en chantant
quelque ronde campagnarde que répétait après lui l’écho de la
colline voisine.
Et pourtant le Bonhomme de neige n’était pas
gai. Il aurait dû l’être, mais il ne l’était pas.
Aussi, quand tout concourt à réaliser nos
souhaits, nous cherchons dans l’impossible et l’inattendu ce qui
pourrait arriver pour troubler notre repos ; il semble que le
bonheur n’est pas dans ce que l’on a la satisfaction de posséder,
mais tout au contraire dans l’imprévu d’où peut souvent sortir
notre malheur.
C’est pour cela que le Bonhomme de neige ne
pouvait se défendre d’un ardent désir de voir le poêle, lui l’homme
du froid auquel la chaleur pouvait être si désastreuse. Et ses deux
gros yeux de charbon de terre restaient fixés immuablement sur le
poêle qui continue à brûler sans se douter de l’attention attendrie
dont il était l’objet.
– Mauvaise maladie pour un Bonhomme de
neige ! pensait le chien. Ouah ! ouah ! Nous allons
encore avoir un changement de temps !
Et cela arriva en effet : ce fut un
dégel. Et plus le dégel grandissait, plus le Bonhomme de neige
diminuait. Il ne disait rien ; il ne se plaignait pas ;
c’était mauvais signe. Un matin, il tomba en morceaux, et il ne
resta de lui qu’une espèce de manche à balai. Les enfants l’avaient
planté en terre, et avaient construit autour leur Bonhomme de
neige.
– Je comprends maintenant son envie, dit le
chien. C’est ce qu’il avait dans le corps qui le tourmentait
ainsi ! Ouah ! ouah !
Bientôt après, l’hiver disparut à son
tour.
– Ouah ! ouah ! aboyait le
chien ; et une petite fille chantait dans la cour :
Ohé ! voici l’hiver parti
Et voici Février fini !
Chantons : Coucou !
Chantons ! Cui… uitte !
Et toi, bon soleil, viens vite !
Personne ne pensait plus au Bonhomme de
neige.
Chapitre 7
Bonne humeur
Mon père m’a fait hériter ce que l’on peut
hériter de mieux : ma bonne humeur. Qui était-il, mon
père ? Ceci n’avait sans doute rien à voir avec sa bonne
humeur ! Il était vif et jovial, grassouillet et rondouillard,
et son aspect extérieur ainsi que son for intérieur étaient en
parfait désaccord avec sa profession. Quelle était donc sa
profession, sa situation ? Vous allez comprendre que si je
l’avais écrit et imprimé tout au début, il est fort probable que la
plupart des lecteurs auraient reposé mon livre après l’avoir
appris, en disant : « C’est horrible, je ne peux pas lire
cela ! » Et pourtant, mon père n’était pas un bourreau ou
un valet de bourreau, bien au contraire ! Sa profession le
mettait parfois à la tête de la plus haute noblesse de ce monde, et
il s’y trouvait d’ailleurs de plein droit et parfaitement à sa
place. Il fallait qu’il soit toujours devant – devant l’évêque,
devant les princes et les comtes … et il y était. Mon père était
cocher de corbillard !
Voilà, je l’ai dit. Mais écoutez la
suite : les gens qui voyaient mon père, haut perché sur son
siège de cocher de cette diligence de la mort, avec son manteau
noir qui lui descendait jusqu’aux pieds et son tricorne à franges
noires, et qui voyaient ensuite son visage rond, et souriant, qui
ressemblait à un soleil dessiné, ne pensaient plus ni au chagrin,
ni à la tombe, car son visage disait : « Ce n’est rien,
cela ira beaucoup mieux que vous ne le pensez ! »
C’est de lui que me vient cette habitude
d’aller régulièrement au cimetière. C’est une promenade gaie, à
condition que vous y alliez la joie dans le cœur – et puis je suis,
comme mon père l’avait été, abonné au Courrier royal
Je ne suis plus très jeune. Je n’ai ni femme,
ni enfants, ni bibliothèque mais, comme je viens de le dire, je
suis abonné au Courrier royal et cela me suffit. C’est pour moi le
meilleur journal, comme il l’était aussi pour mon père. Il est très
utile et salutaire car il y a tout ce qu’on a besoin de
savoir : qui prêche dans telle église, qui sermonne dans tel
livre, où l’on peut trouver une maison, une domestique, des
vêtements et des vivres, les choses que l’on met à prix, mais aussi
les têtes. Et puis, on y lit beaucoup à propos des bonnes œuvres et
il y a tant de petites poésies anodines ! On y parle également
des mariages et de qui accepte ou n’accepte pas de rendez-vous.
Tout y est si simple et si naturel ! Le Courrier royal vous
garantit une vie heureuse et de belles funérailles ! À la fin
de votre vie, vous avez tant de papier que vous pouvez vous en
faire un lit douillet, si vous n’avez pas envie de dormir sur le
plancher.
La lecture du Courrier royal et les promenades
au cimetière enchantent mon âme plus que n’importe quoi d’autre et
renforcent mieux que toute ma bonne humeur. Tout le monde peut se
promener, avec les yeux, dans le Courrier royal, mais venez avec
moi au cimetière ! Allons-y maintenant, tant que le soleil
brille et que les arbres sont verts. Promenons-nous entre les
pierres tombales ! Elles sont toutes comme des livres, avec
leur page de couverture pour que l’on puisse lire le titre qui vous
apprendra de quoi le livre va vous parler ; et pourtant il ne
vous dira rien. Mais moi, j’en sais un peu plus, grâce à mon père
mais aussi grâce à moi. C’est dans mon « Livre » des
tombes ; je l’ai écrit moi-même pour instruire et pour amuser.
Vous y trouverez tous les morts, et d’autres encore …
Nous voici au cimetière.
Derrière cette petite clôture peinte en blanc,
il y avait jadis un rosier. Il n’est plus là depuis longtemps, mais
le lierre provenant de la tombe voisine a rampé jusqu’ici pour
égayer un peu l’endroit. Ci-gît un homme très malheureux. Il vivait
bien, de son vivant, car il avait réussi et avait une très bonne
paie et même un peu plus, mais il prenait le monde, c’est-à-dire
l’art trop au sérieux. Le soir, il allait au théâtre et s’en
réjouissait à l’avance, mais il devenait furieux, par exemple,
aussitôt qu’un éclairagiste illuminait un peu plus une face de la
lune plutôt que l’autre ou qu’une frise pendait devant le décor et
non pas derrière le décor, ou lorsqu’il y voyait un palmier dans
Amager, un cactus dans le Tyrol ou un hêtre dans le nord de la
Norvège, au-delà du cercle polaire ! Comme si cela avait de
l’importance ! Qui pense à cela ? Ce n’est qu’une
comédie, on y va pour s’amuser ! … Le public applaudissait
trop, ou trop peu. »Du bois humide, marmonnait-il, il ne va
pas s’enflammer ce soir. » Puis, il se retournait, pour voir
qui étaient ces gens-là.
1 comment