À la vue de l’oiseau mort, ils versèrent des larmes et
lui creusèrent une fosse. Le corps, enfermé dans une jolie boîte
rouge, fut enterré royalement, et sur la tombe recouverte ils
semèrent des feuilles de roses.
Pauvre oiseau ! pendant qu’il vivait et
chantait, on l’avait oublié dans sa cage et laissé mourir de
misère ; après sa mort, on le pleurait et on lui prodiguait
des honneurs.
Le gazon et la pâquerette furent jetés dans la
poussière sur la grande route ; personne ne pensa à celle qui
avait si tendrement aimé le petit oiseau.
Chapitre 5
La petite fille aux allumettes
Il faisait effroyablement froid ; il
neigeait depuis le matin ; il faisait déjà sombre ; le
soir approchait, le soir du dernier jour de l’année. Au milieu des
rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait
dans la rue : elle n’avait rien sur la tête, elle était pieds
nus. Lorsqu’elle était sortie de chez elle le matin, elle avait eu
de vieilles pantoufles beaucoup trop grandes pour elle. Aussi les
perdit-elle lorsqu’elle eut à se sauver devant une file de
voitures ; les voitures passées, elle chercha après ses
chaussures ; un méchant gamin s’enfuyait emportant en riant
l’une des pantoufles ; l’autre avait été entièrement
écrasée.
Voilà la malheureuse enfant n’ayant plus rien
pour abriter ses pauvres petits petons. Dans son vieux tablier,
elle portait des allumettes : elle en tenait à la main un
paquet. Mais, ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde était
affairé ; par cet affreux temps, personne ne s’arrêtait pour
considérer l’air suppliant de la petite qui faisait pitié. La
journée finissait, et elle n’avait pas encore vendu un seul paquet
d’allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se traînait de
rue en rue.
Des flocons de neige couvraient sa longue
chevelure blonde. De toutes les fenêtres brillaient des
lumières : de presque toutes les maisons sortait une
délicieuse odeur, celle de l’oie, qu’on rôtissait pour le festin du
soir : c’était la Saint-Sylvestre. Cela, oui, cela lui faisait
arrêter ses pas errants.
Enfin, après avoir une dernière fois offert en
vain son paquet d’allumettes, l’enfant aperçoit une encoignure
entre deux maisons, dont l’une dépassait un peu l’autre. Harassée,
elle s’y assied et s’y blottit, tirant à elle ses petits
pieds : mais elle grelotte et frissonne encore plus qu’avant
et cependant elle n’ose rentrer chez elle. Elle n’y rapporterait
pas la plus petite monnaie, et son père la battrait.
L’enfant avait ses petites menottes toutes
transies. »Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule
pour réchauffer mes doigts ? » C’est ce qu’elle fit.
Quelle flamme merveilleuse c’était ! Il sembla tout à coup à
la petite fille qu’elle se trouvait devant un grand poêle en fonte,
décoré d’ornements en cuivre. La petite allait étendre ses pieds
pour les réchauffer, lorsque la petite flamme s’éteignit
brusquement : le poêle disparut, et l’enfant restait là,
tenant en main un petit morceau de bois à moitié brûlé.
Elle frotta une seconde allumette : la
lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente.
Derrière, la table était mise : elle était couverte d’une
belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de
porcelaine. Au milieu, s’étalait une magnifique oie rôtie, entourée
de compote de pommes : et voilà que la bête se met en
mouvement et, avec un couteau et une fourchette fixés dans sa
poitrine, vient se présenter devant la pauvre petite. Et puis plus
rien : la flamme s’éteint.
L’enfant prend une troisième allumette, et
elle se voit transportée près d’un arbre de Noël, splendide. Sur
ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs : de
tous côtés, pendait une foule de merveilles. La petite étendit la
main pour saisir la moins belle : l’allumette s’éteint.
L’arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des
étoiles : il y en a une qui se détache et qui redescend vers
la terre, laissant une traînée de feu.
« Voilà quelqu’un qui va mourir » se
dit la petite. Sa vieille grand-mère, le seul être qui l’avait
aimée et chérie, et qui était morte il n’y avait pas longtemps, lui
avait dit que lorsqu’on voit une étoile qui file, d’un autre côté
une âme monte vers le paradis. Elle frotta encore une
allumette : une grande clarté se répandit et, devant l’enfant,
se tenait la vieille grand-mère.
– Grand-mère, s’écria la petite, grand-mère,
emmène-moi. Oh ! tu vas me quitter quand l’allumette sera
éteinte : tu t’évanouiras comme le poêle si chaud, le superbe
rôti d’oie, le splendide arbre de Noël. Reste, je te prie, ou
emporte-moi.
Et l’enfant alluma une nouvelle allumette, et
puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne
grand-mère le plus longtemps possible. La grand-mère prit la petite
dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu où il n’y
avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin : c’était
devant le trône de Dieu.
Le lendemain matin, cependant, les passants
trouvèrent dans l’encoignure le corps de la petite ; ses joues
étaient rouges, elle semblait sourire ; elle était morte de
froid, pendant la nuit qui avait apporté à tant d’autres des joies
et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les
restes brûlés d’un paquet d’allumettes.
– Quelle sottise ! dit un sans-cœur.
Comment a-t-elle pu croire que cela la réchaufferait ?
D’autres versèrent des larmes sur l’enfant ; c’est qu’ils ne
savaient pas toutes les belles choses qu’elle avait vues pendant la
nuit du nouvel an, c’est qu’ils ignoraient que, si elle avait bien
souffert, elle goûtait maintenant dans les bras de sa grand-mère la
plus douce félicité.
Chapitre 6
La petite Poucette
Il y avait une fois, une femme qui aurait bien
voulu avoir un tout petit enfant, mais elle ne savait pas du tout
comment elle pourrait se le procurer ; elle alla donc trouver
une vieille sorcière, et lui dit :
– J’aurais grande envie d’avoir un petit
enfant, ne veux-tu pas me dire où je pourrais m’en procurer
un ?
– Si, nous allons bien en venir à bout !
dit la sorcière. Tiens, voilà un grain d’orge, il n’est pas du tout
de l’espèce qui pousse dans le champ du paysan, ou qu’on donne à
manger aux poules, mets-le dans un pot, et tu verras !
– Merci, dit la femme.
Et elle donna douze shillings à la sorcière,
rentra chez elle, planta le grain d’orge, et aussitôt poussa une
grande fleur superbe qui ressemblait tout à fait à une tulipe, mais
les pétales se refermaient, serrés comme si elle était encore en
bouton.
– C’est une belle fleur, dit la femme.
Et elle l’embrassa sur les beaux pétales
rouges et jaunes, mais au moment même de ce baiser, la fleur
s’ouvrit avec un grand bruit d’explosion. C’était vraiment une
tulipe, ainsi qu’il apparut alors, mais au milieu d’elle, assise
sur le siège vert, était une toute petite fille, mignonne et
gentille, qui n’était pas plus haute qu’un pouce, et qui, pour
cette raison, fut appelée Poucette.
Elle eut pour berceau une coque de noix
laquée, des pétales bleus de violettes furent ses matelas, et des
pétales de roses son édredon ; c’est là qu’elle dormait la
nuit, et le jour elle jouait sur la table, où la femme avait posé
une assiette entourée d’une couronne de fleurs dont les tiges
trempaient dans l’eau ; un grand pétale de tulipe y flottait,
où Poucette pouvait se tenir et naviguer d’un bord à l’autre de
l’assiette ; elle avait pour ramer deux crins de cheval blanc.
C’était charmant. Et elle savait aussi chanter, et son chant était
doux et gentil, tel qu’on n’avait jamais entendu le pareil ici.
Une nuit qu’elle était couchée dans son
délicieux lit, arriva une vilaine grenouille qui sauta par la
fenêtre ; il y avait un carreau cassé. La grenouille était
laide, grosse et mouillée, elle sauta sur la table où Poucette
était couchée et dormait sous l’édredon de feuilles de roses
rouges.
« Ce serait une femme parfaite pour mon
fils ! ! » se dit la grenouille, et elle s’empara de
la coque de noix où Poucette dormait, et, à travers le carreau,
sauta dans le jardin avec elle.
Tout près de là coulait un grand et large
ruisseau ; mais le bord en était bourbeux et marécageux ;
c’est là qu’habitait la grenouille avec son fils. Hou ! lui
aussi était laid et vilain, il ressemblait tout à fait à sa
mère ; koax, koax, brékékékex ! c’est tout ce
qu’il sut dire quand il vit la jolie fille dans la coque de
noix.
– Ne parle pas si haut, tu vas la
réveiller ! dit la vieille grenouille, elle pourrait encore
nous échapper, car elle est légère comme duvet de cygne ; nous
la mettrons sur une des larges feuilles de nénuphar, ce sera pour
elle, si petite et légère, comme une île ; de là, elle ne
pourra pas s’enfuir, pendant que nous préparerons la belle chambre,
sous la vase, où vous habiterez.
Dans le ruisseau poussaient beaucoup de
nénuphars dont les larges feuilles vertes semblaient flotter à la
surface de l’eau ; la feuille la plus éloignée était aussi la
plus grande de toutes ; c’est là que la vieille grenouille
nagea et plaça la coque de noix avec Poucette.
La pauvre petite mignonne se réveilla de très
bonne heure le matin, et lorsqu’elle vit où elle était, elle se mit
à pleurer amèrement, car il y avait de l’eau de tous les côtés
autour de la grande feuille verte, elle ne pouvait pas de tout
aller à terre.
La vieille grenouille était au fonde de la
vase et ornait la chambre avec des roseaux et des boutons jaunes de
nénuphar – il fallait que ce fût tout à fait élégant pour sa
nouvelle bru – et avec son vilain fils elle nagea vers la feuille
où était Poucette afin de prendre à eux deux le beau lit, et
l’installer dans la chambre de l’épousée, avant qu’elle y vînt
elle-même. La vieille grenouille s’inclina profondément dans l’eau
devant elle et dit :
– Voilà, mon fils, il sera ton mari, et vous
aurez un délicieux logement au fond de la vase.
– Koax, koax, brékékékex !
C’est tout ce que le fils put dire.
Et ils prirent le gentil petit lit et
partirent avec à la nage, et Poucette resta toute seule et pleura
sur la feuille verte, car elle ne voulait pas demeurer chez la
vilaine grenouille, ni avoir son fils si laid pour mari.
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