La nuit survint et les nuages s’amoncelèrent. Bientôt tomba une pluie si forte que tout le ciel semblait une cataracte. Il régnait une obscurité telle qu’on n’en voit de pareille qu’au fond d’un puits au milieu de la nuit. Tantôt le prince glissait sur l’herbe mouillée, tantôt il tombait sur les pierres aiguës dont le sol était hérissé. Trempé jusqu’aux os, il fut obligé de grimper sur de gros blocs recouverts d’une mousse épaisse et ruisselante. Il allait tomber évanoui de fatigue, lorsqu’il entendit un bruit étrange, et aperçut devant lui une grande caverne éclairée par un feu qui aurait pu rôtir tout un cerf ; et, en effet, attaché à la broche par les cornes, un superbe cerf y tournait lentement entre deux sapins abattus. Une femme âgée, mais grande et forte, qui ressemblait à un homme déguisé, était assise devant le feu et y jetait de temps en temps un morceau de bois.

« Approche, dit-elle, et mets-toi là pour sécher tes vêtements.

– Quel courant d’air il fait ici ! dit le prince en s’étendant à terre.

– Ce sera bien pis lorsque mes fils seront rentrés. Tu es ici dans la caverne des Vents, et mes fils sont les quatre Vents du monde. Me comprends-tu ?

– Explique toi plus clairement. Que font tes fils ?

– Il est difficile de répondre à une sotte question. Mes fils travaillent pour leur compte ; ils jouent au volant avec les nuages là-haut. »

Et elle montra le ciel.

« Bien ! dit le prince ; mais vous parlez durement, et vous n’avez pas l’air doux des femmes que j’ai connues jusqu’ici.

– C’est qu’elles n’ont pas besoin d’en prendre un autre ; quant à moi, il me faut être rude pour tenir mes garçons en respect, et je sais les dompter, quoiqu’ils aient de mauvaises têtes. Regarde ces quatre sacs suspendus au mur ; mes fils les craignent autant que les autres enfants craignent les verges placées entre la glace et la cheminée. Je sais les faire plier, vois-tu ! et, quand il me plaît, je les enferme dans le sac, où ils restent jusqu’à ce que je trouve bon de les relâcher. Mais en voici un qui rentre. »

C’était le Vent du Nord ; il revenait accompagné d’un froid glacial. De gros grêlons tombaient à terre et des flocons de neige tourbillonnaient dans la caverne. Ce Vent était vêtu d’une culotte et d’une veste de peau d’ours ; un bonnet en peau de chien de mer se rabattait sur ses oreilles ; de longs glaçons pendaient à sa barbe, et les grêlons pleuvaient de dessous le col de sa veste.

« Ne vous approchez pas du feu tout de suite, dit le prince, vous risqueriez d’attraper des engelures au visage et aux mains.

– Des engelures ! répéta le Vent du Nord en riant aux éclats ; des engelures ! rien ne me fait plus de plaisir. Mais qui es-tu, blanc-bec, toi qui oses pénétrer dans la caverne des Vents ?

– C’est mon hôte, dit la vieille, et si tu n’es pas content de cette explication, prends garde au sac ! Tu me connais, je pense ! »

À ces mots le Vent du Nord cessa ses questions et commença à raconter d’où il venait et comment il avait passé son temps depuis tout un mois.

« J’arrive, dit-il de la mer polaire ; j’ai séjourné dans le pays des ours avec les Russes qui pêchent les morses. Je m’étais endormi sur le gouvernail lorsqu’ils doublèrent le cap Nord. Parfois, à mon réveil, l’oiseau des tempêtes passait sous mes jambes : c’est un oiseau bien bizarre, qui donne un coup d’aile rapide, se lance en avant et puis reste étendu sans mouvement.

– Épargne-nous les détails, dit la mère, et parle-nous du pays des ours.

– C’est un pays magnifique ; quel beau plancher pour danser ! uni comme une assiette. On y voit de la neige à moitié fondue avec un peu de mousse, des pierres aiguës et des carcasses de morses et d’ours blancs qui ressemblent à des bras et à des jambes de géants. On dirait que la chaleur du soleil n’a jamais pénétré jusque-là. Après avoir d’un souffle éloigné les brouillards, j’aperçus une maison construite avec les débris d’un navire, et couverte de peaux de morses. Sur le toit grognait un ours blanc. Puis je me rendis au rivage, où je m’amusai à regarder les nids d’oiseaux dont les petits encore nus commençaient à crier. Je soufflai à la fois dans mille de ces gosiers et leur appris ainsi à fermer le bec. Plus loin se roulaient les morses avec leurs têtes de porc et leurs dents longues d’une aune.

– Tu racontes bien, mon garçon, dit la mère, l’eau me vient à la bouche en t’écoutant.

– On commença la pêche. Les harpons furent jetés dans les flancs d’un morse, et un jet de sang fumant s’éleva sur la glace. Alors je pensai à mon rôle ; je me mis à souffler et j’ordonnai à mes troupes, les hautes montagnes de glace, de marcher contre les bateaux pêcheurs. Quel tumulte alors ! comme on criait, comme on sifflait ! mais je sifflais plus fort qu’eux. Ils furent obligés de débarquer sur la glace les morses tués, les caisses et tous les agrès.