Chaque brin d’herbe doit être pour moi un arbre ; chacune de tes feuilles blanches, une fleur odoriférante. Ah ! tu me rappelles tout ce que j’ai perdu !
– Si je pouvais le consoler ? », pensait la pâquerette, incapable de faire un mouvement. Cependant le parfum qu’elle exhalait devint plus fort qu’à l’ordinaire ; l’oiseau s’en aperçut, et quoiqu’il languît d’une soif dévorante qui lui faisait arracher tous les brins d’herbe l’un après l’autre, il eut bien garde de toucher à la fleur.
Le soir arriva ; personne n’était encore là pour apporter une goutte d’eau à la malheureuse alouette. Alors elle étendit ses belles ailes en les secouant convulsivement, et fit entendre une petite chanson mélancolique. Sa petite tête s’inclina vers la fleur, et son cœur brisé de désir et de douleur cessa de battre. À ce triste spectacle, la petite pâquerette ne put, comme la veille, refermer ses feuilles pour dormir ; malade de tristesse, elle se pencha vers la terre.
Les petits garçons ne revinrent que le lendemain. À la vue de l’oiseau mort, ils versèrent des larmes et lui creusèrent une fosse. Le corps, enfermé dans une jolie boîte rouge, fut enterré royalement, et sur la tombe recouverte ils semèrent des feuilles de roses.
Pauvre oiseau ! pendant qu’il vivait et chantait, on l’avait oublié dans sa cage et laissé mourir de misère ; après sa mort, on le pleurait et on lui prodiguait des honneurs.
Le gazon et la pâquerette furent jetés dans la poussière sur la grande route ; personne ne pensa à celle qui avait si tendrement aimé le petit oiseau.
Il n’y a personne au monde qui sache raconter autant d’histoires que Ferme-l’Œil. En voilà un qui raconte bien ! Vers le soir, lorsque les enfants sont assis tranquillement à la table ou sur leur petit banc, arrive Ferme-l’Œil. On l’entend à peine monter l’escalier, parce qu’il a des pantoufles : il ouvre tout doucement la porte, et psitt ! il lance du lait dans les yeux des enfants avec une merveilleuse délicatesse, et cependant toujours en assez grande quantité pour qu’ils ne puissent pas tenir leurs yeux ouverts et, par conséquent, l’apercevoir. Il se glisse derrière eux, leur souffle dans le cou, ce qui leur rend la tête lourde... oui, mais cela ne leur fait pas de mal, car le petit Ferme-l’Œil a de bonnes intentions pour les enfants : il veut seulement qu’ils soient tranquilles, et d’ordinaire ils ne le sont que quand ils dorment.
Il veut qu’ils soient bien tranquilles pour qu’il puisse leur raconter ses petites histoires.
Dès que les enfants sont endormis, Ferme-l’Œil s’assied sur leur lit. C’est qu’il est joliment vêtu : il porte un habit de soie, mais d’une couleur qu’il est impossible de dire. Il a des reflets verts, rouges et bleus, suivant le côté où il se tourne. Sous chaque bras il tient un parapluie : il en ouvre un, qui est orné de belles images, au-dessus des enfants aimables, et alors ils rêvent toute la nuit les plus charmantes histoires. L’autre parapluie, qui est tout uni, il le déploie sur la tête des enfants méchants, qui dorment alors d’une manière stupide ; et le lendemain, quand ils se réveillent. ils n’ont rêvé de rien du tout.
Nous allons entendre maintenant comment Ferme-l’Œil vint tous les soirs, pendant toute une semaine, visiter un petit garçon qui s’appelait Hialmar : voici les sept histoires qu’il lui conta, puisqu’il y a sept jours dans la semaine.
Lundi
« Écoute un peu, dit Ferme-l’Œil le soir, après avoir fait coucher Hialmar ; je vais faire ma besogne. »
Et alors toutes les fleurs dans leurs pots devinrent de grands arbres qui étendaient leurs longues branches jusque sur le tapis et le long des murs, si bien que toute la chambre avait l’air d’un magnifique bosquet ; et toutes les branches étaient couvertes de fleurs, et chaque fleur était plus belle qu’une rose. Elles exhalaient un parfum délicieux, et, si on avait voulu les manger, on leur aurait trouvé un goût plus exquis que celui des confitures. Les fruits brillaient comme de l’or, et il y avait aussi sur les branches des gâteaux tout remplis de raisins. C’était d’une beauté incomparable ; mais en même temps des plaintes affreuses sortirent du tiroir qui renfermait les livres de Hialmar.
« Qu’est-ce donc ? » dit Ferme-l’Œil ; et il courut à la table et ouvrit le tiroir. Quelque chose s’agitait et se remuait d’une manière terrible sur l’ardoise. C’était un chiffre faux qui se trouvait dans l’opération, en sorte qu’elle avait l’air de vouloir se disloquer.
Le crayon sauta avec la ficelle qui le retenait, comme s’il eût été un petit chien et qu’il eût voulu rajuster l’opération ; mais il ne le pouvait pas.
En même temps des cris lamentables se firent entendre dans le cahier d’écriture de Hialmar. Oh ! comme c’était affreux ! De haut en bas, sur chaque page, de grandes lettres se montraient, chacune avec une petite à son côté : elles avaient servi comme modèles, et auprès d’elles étaient d’autres petites lettres qui croyaient avoir une mine aussi présentable, et qui avaient été tracées par Hialmar ; mais elles étaient couchées comme si on les avait fait tomber sur la ligne où elles devaient se tenir debout.
« Voyons, tenez-vous ainsi, dit le modèle, ainsi obliquement, et prenez-moi un mouvement vigoureux.
– Nous le voudrions bien, dirent les lettres de Hialmar ; mais nous ne le pouvons pas, tant nous sommes malades !
– En ce cas, on vous administrera un remède.
– Oh non ! » s’écrièrent-elles en se redressant si vivement que c’était charmant à voir.
« Pour le moment, je n’ai pas le temps de raconter des histoires, dit Ferme-l’Œil : il faut que j’exerce ces gaillardes-là. Une, deux ! une, deux ! »
Et il exerçait ainsi les lettres, qui finirent par prendre une position aussi droite et aussi gracieuse que celles du modèle même.
Ferme-l’Œil partit ; mais lorsque Hialmar les examina le lendemain, elles étaient aussi malades qu’auparavant.
Mardi
Dès que Hialmar fut dans son lit, Ferme-l’Œil toucha de sa petite seringue enchantée tous les meubles de la chambre, et tous aussitôt se mirent à babiller, et chacun parla de lui-même. Le crachoir seul restait là stupidement, et furieux de ce que les autres avaient assez de vanité pour ne parler que d’eux-mêmes, pour ne penser qu’à eux-mêmes, sans faire la moindre attention à lui, qui se tenait modestement dans un coin pour recueillir les crachats.
Au-dessus de la commode était suspendu un grand tableau dans un cadre doré, qui représentait un paysage. On y voyait de vieux arbres énormes, des fleurs dans l’herbe, et une large rivière qui, tournant autour de la forêt, passait devant plusieurs châteaux et ensuite allait se perdre dans la mer irritée.
Ferme-l’Œil toucha de sa seringue le tableau, et tout à coup les oiseaux commencèrent à chanter, les branches à s’agiter, et les nuages continuèrent leur course : on pouvait même voir leur ombre s’avancer et couvrir le paysage.
Alors Ferme-l’Œil éleva le petit Hialmar jusqu’au cadre : il posa les pieds de l’enfant sur le tableau, au milieu de l’herbe haute, et l’enfant resta là.
Le soleil jetait sur lui ses rayons à travers les branches des arbres. Il courut à l’eau et s’assit dans un petit bateau qui s’y balançait, et qui était peint en rouge mêlé de blanc. Les voiles brillaient comme de l’argent ; et une demi-douzaine de cygnes, portant des couronnes d’or autour de leur cou et une étoile bleue étincelante sur leur tête, tirèrent le bateau et l’amenèrent devant la verte forêt, où les arbres racontaient des histoires de brigands et de sorciers, et les fleurs, des aventures de charmants petits elfes et les belles paroles que leur avaient murmurées les papillons.
Des poissons magnifiques, couverts d’écailles d’or et d’argent, suivaient le bateau : de temps en temps ils sautaient, et l’eau rejaillissait avec bruit, et derrière eux volaient deux troupeaux d’oiseaux, rouges et bleus, grands et petits. Les cousins dansaient, les hannetons bourdonnaient, tous voulaient accompagner Hialmar, et tous avaient des histoires à raconter.
En voilà une partie de plaisir ! Tantôt les forêts étaient touffues et sombres, tantôt elles ressemblaient à un jardin superbe rempli de fleurs et éclairé par le soleil. Çà et là se montraient de grands châteaux de verre et de marbre ; les princesses se penchaient aux balcons, et toutes étaient des petites filles de la connaissance de Hialmar avec lesquelles il avait joué bien souvent.
Chacune étendait la main et présentait au voyageur un petit gâteau fait en cœur, et d’un sucre si raffiné que jamais marchande n’en avait vendu de pareil.
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