En été, les rayons du soleil venaient de temps en temps éclairer cette misérable demeure, et alors le petit garçon se réchauffait au soleil, regardait le sang rouge circuler dans ses doigts délicats et diaphanes en disant : « Aujourd’hui, Dieu merci, j’ai pu sortir. » Il ne connaissait la magnifique verdure de la forêt que par une branche de hêtre que le fils du voisin lui avait apportée. Il tenait cette branche au-dessus de sa tête, et il lui semblait ainsi se reposer sous les grands arbres, ayant le soleil en perspective, et pour musique le chant délicieux de mille petits oiseaux.
Un jour de printemps, le fils du voisin lui apporta aussi quelques fleurs des champs, dont l’une, par hasard, avait encore ses racines. Elle fut plantée dans un pot, et placée sur la fenêtre, près du lit. Plantée par une main heureuse, elle poussa des rejetons, et produisit chaque année de nouvelles fleurs. C’était le jardin de l’enfant malade, son seul trésor sur cette terre ; il l’arrosait, la cultivait avec soin, et la plaçait toujours de manière à ce qu’elle ne perdît pas un des rayons de soleil qui pénétraient à travers la lucarne. Aussi la fleur se développait et s’embellissait avec ses rêves ; elle fleurissait pour lui, pour lui elle répandait son parfum et prenait des airs coquets. Lorsque le bon Dieu rappela l’enfant à lui, il s’inclina vers elle avant de mourir. Il y a maintenant une année que l’enfant est chez Dieu, et il y a une année que la fleur est restée oubliée sur la fenêtre et s’est desséchée. Le jour du déménagement, on l’a jetée parmi les immondices de la rue, et c’est cette pauvre fleur fanée que nous avons recueillie dans notre bouquet, car elle a causé plus de joie que la plus riche fleur du jardin d’une reine.
– Mais comment sais-tu tout cela ? demanda l’enfant.
– Je le sais, répondit l’ange, parce que j’étais moi-même ce petit garçon malade qui marchait avec des béquilles. Je reconnais bien ma fleur. »
Et l’enfant, ouvrant tout à fait les yeux, regarda le visage éclatant et superbe de l’ange. Au même instant, ils entrèrent dans le ciel du Seigneur, où la joie et la félicité sont éternelles. Lorsque le bon Dieu eut pressé l’enfant mort sur son cœur, il poussa des ailes à l’enfant comme à l’autre ange, et se tenant par la main, tous deux s’envolèrent ensemble. Le bon Dieu serra aussi sur son cœur toutes les fleurs, mais il donna un baiser à la pauvre fleur des champs fanée, et aussitôt elle fut douée de la voix et chanta avec les anges qui flottent autour du Seigneur, formant des cercles jusqu’à l’infini, et tous également heureux. Oui, ils chantaient tous, grands et petits, le bon enfant béni, et la pauvre fleur des champs qui avait été jetée toute fanée parmi les ordures, dans la ruelle sombre et étroite.
Dans une ville demeuraient deux hommes qui s’appelaient du même nom, Claus ; mais l’un avait quatre chevaux, et l’autre n’en avait qu’un seul : donc, pour les distinguer, l’on appelait le premier grand Claus, et l’autre petit Claus. Écoutez bien maintenant ce qui leur arriva, car c’est une histoire véritable !
Pendant toute la semaine, petit Claus était obligé de labourer la terre de grand Claus et de lui prêter son unique cheval ; en revanche, grand Claus l’aidait avec ses quatre chevaux une fois par semaine, c’est-à-dire tous les dimanches seulement. Hutsch ! comme petit Claus faisait alors claquer son fouet au-dessus des cinq chevaux ! Il les regardait comme les siens. Le soleil brillait si magnifique ! Toutes les cloches appelaient le monde à l’église ; les hommes et les femmes revêtus de leurs plus beaux habits passaient devant petit Claus, qui, labourant la terre d’un air joyeux, faisait claquer son fouet en s’écriant : « Hue donc, mes chevaux !
– Ne dis donc pas mes chevaux, lui cria une fois grand Claus, il n’y en a qu’un qui est à toi. »
Mais petit Claus oublia bientôt cet avertissement, et, en voyant quelques autres personnes passer, il ne put s’empêcher de s’écrier de nouveau : « Hue donc, mes chevaux !
– Pour la dernière fois, lui dit grand Claus, ne répète plus ces paroles ! Si cela t’arrive encore, je porterai un tel coup au front de ton cheval, qu’il tombera mort sur-le-champ.
– Je ne le dirai plus », répondit petit Claus.
Mais lorsqu’il passa encore du monde qui le saluait amicalement de la tête, il devint bien content ; et fier, de pouvoir labourer son champ avec cinq chevaux, il fit claquer son fouet en s’écriant : « Hue donc, mes chevaux !
– J’apprendrai le hue donc ! à tes chevaux », dit le grand Claus ; puis il prit une massue, et appliqua un coup si fort au front du cheval de petit Claus qu’il tomba mort sur-le-champ.
Son maître se prit à pleurer et à se lamenter ; ensuite il écorcha la bête morte, fit sécher la peau au vent, la mit dans un sac, et se rendit à la ville pour la vendre.
Le chemin était long et passait par une grande forêt ; il faisait un temps affreux. Petit Claus s’égara, et avant qu’il eût retrouvé le bon chemin, la nuit survint ; il lui fallut renoncer à rentrer en ville.
Près de la route se trouvait une grande ferme, et, quoique les volets fussent fermés, on y voyait briller de la lumière. « Peut-être j’y pourrai passer la nuit », pensa-t-il, et il frappa à la porte.
La femme lui ouvrit ; mais, lorsqu’elle apprit ce qu’il voulait, elle lui dit de passer son chemin ; son mari était sorti, et elle ne recevait pas d’étrangers.
« Soit, je coucherai dehors », répondit-il. Et la femme referma la porte.
Près de la maison était une grange au toit de chaume remplie de foin. « J’y coucherai bien, dit petit Claus ; le lit est bon, et il n’y a pas de danger que la cigogne me morde les jambes. »
Sur le toit perchait une cigogne à côté de son nid.
Il rampa dans la grange, où il se coucha. Il se retourna plusieurs fois pour bien dormir. Les volets de la maison ne se fermant pas entièrement, il put voir ce qui se passait dans la chambre.
Au milieu, se dressait une grande table ornée d’un rôti, d’un poisson et de plusieurs bouteilles de vin. La paysanne et le chantre étaient assis joyeusement et se régalaient.
« Comme ils sont heureux ! » dit petit Claus. Et il allongea la tête pour mieux voir. La femme servit un gâteau délicieux. Grand Dieu, quel festin !
Tout à coup un homme à cheval s’approcha de la maison ; c’était le mari de la paysanne qui rentrait chez lui.
Tout le monde l’estimait comme un brave homme, mais il avait une maladie étrange : il ne pouvait apercevoir un chantre sans entrer en fureur. Connaissant cette particularité, le chantre avait profité de l’occasion pour rendre une visite à la femme et lui dire bonjour, pendant que le mari était absent ; et la bonne femme lui avait fait honneur en lui servant un délicieux repas. Pour éviter des désagréments, lorsqu’elle entendit son mari qui venait, elle pria son convive de se cacher dans un grand coffre vide ; ce qu’il fit volontiers, connaissant la maladie du paysan. Puis la femme serra promptement le manger et le vin dans le four, pour que son mari ne lui adressât pas de question embarrassante.
« Quel dommage ! soupira petit Claus dans la grange en voyant disparaître le gâteau.
– Qui est là-haut ? s’écria le paysan en se tournant, et il aperçut petit Claus.
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