Pierre et Paul peuvent se tromper. Descartes et Gassendi, Leibnitz et Newton, Bichat et Claude Bernard ont pu se tromper. Nous nous trompons tous et à tout moment. Nos raisons d'erreur sont innombrables. Les perceptions des sens et les jugements de l'esprit sont des sources d'illusion et des causes d'incertitude. Il ne faut pas se fier au témoignage d'un homme: Testis unus, testis nullus. Mais on peut avoir foi dans un numéro. Bastien Matra, de Cinto−Monte, est faillible. Mais l'agent 64, abstraction faite de son humanité, ne se trompe pas. C'est une entité. Une entité n'a rien en elle de ce qui est dans les hommes et les trouble, les corrompt, les abuse. Elle est pure, inaltérable et sans mélange. Aussi le Tribunal n'a−t−il point hésité à repousser le témoignage du docteur David Matthieu, qui n'est qu'un homme, pour admettre celui de l'agent 64, qui est une idée pure, et comme un rayon de Dieu descendu à la barre.

"En procédant de cette manière, le président Bourriche s'assure une sorte d'infaillibilité, et la seule à laquelle un juge puisse prétendre. Quand l'homme qui témoigne est armé d'un sabre, c'est le sabre qu'il faut entendre et non l'homme. L'homme est méprisable et peut avoir tort. Le sabre ne l'est point et il a toujours raison. Le président Bourriche a profondément pénétré l'esprit des lois. La société repose sur la force, et la force doit être respectée comme le fondement auguste des sociétés. La justice est l'administration de la force. Le IV. APOLOGIE POUR M. LE PRÉSIDENT BOURRICHE

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Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs autres récits profitables président Bourriche sait que l'agent 64 est une parcelle du Prince. Le Prince réside dans chacun de ses officiers. Ruiner l'autorité de l'agent 64, c'est affaiblir l'État. Manger une des feuilles de l'artichaut, c'est manger l'artichaut, comme dit Bossuet en son sublime langage. (Politique tirée de l'Écriture sainte, passim.)

"Toutes les épées d'un État sont tournées dans le même sens. En les opposant les unes aux autres, on subvertit la république. C'est pourquoi l'inculpé Crainquebille fut condamné justement à quinze jours de prison et cinquante francs d'amende, sur le témoignage de l'agent 64. Je crois entendre le président Bourriche expliquer lui−même les raisons hautes et belles qui inspirèrent sa sentence.