L’autre… l’autre, j’ignore.

… Entre Port-Royal et Dampierre, deux vieilles dames et un adolescent, qui conduit.

… Enghien. Trois personnes.

… Poissy. Quatre.

… Mais, mon Dieu, que, tous ces gens sont stupides ! Tous, tous, sans exception, ils ont le même mouvement irréfléchi et absurde, le même coup de volant brutal. Deux seulement ont pu se redresser, se sauver. Les autres…

… Melun. Une dame et sa fille.

… Pontoise. Je ne sais plus…

Il se produit en moi un sentiment étrange. Comment l’expliquer ? Je n’ose pas, ou plutôt j’ai honte, après tout ce que j’ai dit. Pourtant, il faut l’avouer, d’autant plus que je saurai surmonter cette petite faiblesse. Eh bien ! voilà : j’ai comme une peur vague de mourir. Oui, j’ai peur.

Ah ! C’est que, vous pouvez m’en croire, cela semble si horrible ! Ce n’est pas du tout ce que j’imaginais : la fin d’un mal. Non, c’est le commencement d’un mal. On souffre, je vous le jure. Ah ! ce que l’on souffre ! J’en ai tenu dans mes bras, voyez-vous, qui hurlaient. D’autres ne disaient rien, et c’était plus atroce encore. Ou bien, de petits gémissements… Et les yeux de tous ces êtres ! Et leurs bouches tordues ! Et leurs visages blêmes !

Pauvres jeunes filles dont j’ai senti la dernière convulsion… Pauvres mères… Et tout cela souffrait, criait, pleurait, râlait. Et tout cela est mort. Ils étaient, et ils ne sont plus, et ils ne seront plus jamais. C’est fini. Leurs chairs pourrissent.

Et alors… et alors il se passe ceci, qu’en face de la mort je me mets peu à peu à aimer de nouveau la vie. La vie est meilleure peut-être. L’autre est si noire, si affreuse. Il y a de bonnes heures dans la vie. On respire, on sourit, on rêve, on se rappelle, on espère. Mais quand on est mort ?...

Oui, le goût de la vie revient en moi, comme les forces au convalescent. La vie a son charme. Certes, je ne l’aime pas. Mais que je voie encore sous mes yeux des corps se raidir, des regards s’éteindre, et que j’entende encore le râle sourd de l’agonie et que je devine le supplice des moribonds, leur angoisse suprême, j’aimerai la vie, j’aimerai la vie, et je vivrai !

… Bois de Vincennes. Deux jeunes gens. Oh ! la mort, c’est la grande ennemie…

 

Rendez-vous le 4 octobre 2012 pour la parution du livre

Maurice Leblanc

50 nouvelles inédites

(Éditions de l'Opportun)

.