Voilà bien ces noms enlacés
selon l’usage des vieux temps, comme leurs deux cœurs,
David Copperfield et Dora Spenlow avec un trait d’union ;
voilà, dans le coin l’institution paternelle du timbre
qui ne dédaigne pas de jeter un regard sur notre hymen, elle
s’intéresse avec tant de bonté à toutes
les cérémonies de la vie humaine ! voilà
l’archevêque de Canterbury qui nous donne sa bénédiction
imprimée, à aussi bas prix que possible.
Et cependant, c’est un rêve
pour moi, un rêve agité, heureux, rapide. Je ne puis
croire que ce soit vrai : pourtant il me semble que tous ceux
que je rencontre dans la rue doivent s’apercevoir que je vais
me marier après-demain. Le délégué de
l’archevêque me reconnaît quand je vais pour prêter
serment, et me traite avec autant de familiarité que s’il
y avait entre nous quelque lien de franc-maçonnerie. Traddles
n’est nullement nécessaire, mais il m’accompagne
partout, comme mon ombre.
« J’espère,
mon cher ami, dis-je à Traddles, que la prochaine fois vous
viendrez ici pour votre compte, et que ce sera bientôt.
– Merci de vos bons
souhaits, mon cher Copperfield, répond-il, je l’espère
aussi. C’est toujours une satisfaction de savoir qu’elle
m’attendra tant que cela sera nécessaire et que c’est
bien la meilleure fille du monde.
– À quelle heure
allez-vous l’attendre à la voiture ce soir ?
– À sept heures,
dit Traddles, en regardant à sa vieille montre d’argent,
cette montre dont jadis, à la pension, il avait enlevé
une roue pour en faire un petit moulin. Miss Wickfield arrive à
peu près à la même heure, n’est-ce pas ?
– Un peu plus tard, à
huit heures et demie.
– Je vous assure, mon cher
ami, me dit Traddles, que je suis presque aussi content que si
j’allais me marier moi-même. Et puis, je ne sais comment
vous remercier de la bonté que vous avez mise à
associer personnellement Sophie à ce joyeux événement,
en l’invitant à venir servir de demoiselle d’honneur
avec miss Wickfield. J’en suis bien touché. »
Je l’écoute et je lui
serre la main ; nous causons, nous nous promenons, et nous
dînons. Mais je ne crois pas un mot de tout cela ; je sais
bien que c’est un rêve.
Sophie arrive chez les tantes de
Dora, à l’heure convenue. Elle a une figure charmante ;
elle n’est pas positivement belle, mais extrêmement
agréable ; je n’ai jamais vu personne de plus
naturel, de plus franc, de plus attachant. Traddles nous la présente
avec orgueil ; et, pendant dix minutes, il se frotte les mains
devant la pendule, tous ses cheveux hérissés en brosse
sur sa tête de loup, tandis que je le félicite de son
choix.
Agnès est aussi arrivée
de Canterbury, et nous revoyons parmi nous ce beau et doux visage.
Agnès a un grand goût pour Traddles ; c’est
un plaisir de les voir se retrouver et d’observer comme
Traddles est fier de faire faire sa connaissance à la
meilleure fille du monde.
C’est égal, je ne crois
pas un mot de tout cela. Toujours ce rêve ! Nous passons
une soirée charmante, nous sommes heureux, ravis ; il ne
me manque que d’y croire. Je ne sais plus où j’en
suis. Je ne peux contenir ma joie. Je me sens dans une sorte de
rêvasserie nébuleuse, comme si je m’étais
levé de très grand matin il y a quinze jours, et que je
ne me fusse pas recouché depuis. Je ne puis pas me rappeler
s’il y a bien longtemps que c’était hier. Il me
semble que voilà des mois que je suis à faire le tour
du monde, avec une licence de mariage dans ma poche.
Le lendemain, quand nous allons, tous
en corps, voir la maison, notre maison, la maison de Dora et la
mienne, je ne m’en considère nullement comme le
propriétaire. Il me semble que j’y suis par la
permission de quelqu’un. Je m’attends à voir le
maître, le véritable possesseur, paraître tout à
l’heure, pour me dire qu’il est bien aise de me voir chez
lui. Une si belle petite maison ! Tout y est si gai et si neuf !
Les fleurs du tapis ont l’air de s’épanouir et le
feuillage du papier est comme s’il venait de pousser sur les
branches. Voilà des rideaux de mousseline blanche et des
meubles de perse rose ! Voilà le chapeau de jardin de
Dora, déjà accroché le long du mur ! Elle
en avait un tout pareil quand je l’ai vue pour la première
fois ! La guitare se carre déjà à sa place
dans son coin, et tout le monde va se cogner, au risque de se jeter
par terre, contre la pagode de Jip, qui est beaucoup trop grande pour
notre établissement.
Encore une heureuse soirée, un
rêve de plus, comme tout le reste ; je me glisse comme de
coutume dans la salle à manger avant de partir. Dora n’y
est pas. Je suppose qu’elle est encore à essayer quelque
chose. Miss Savinia met la tête à la porte et m’annonce
d’un air de mystère que ce ne sera pas long. C’est
pourtant très long ; mais j’entends enfin le
frôlement d’une robe à la porte ; on tape.
Je dis : « Entrez ! »
On tape encore. Je vais ouvrir la porte, étonné qu’on
n’entre pas, et là j’aperçois deux yeux
très brillants et une petite figure rougissante : c’est
Dora. Miss Savinia lui a mis sa robe de noce, son chapeau, etc.,
etc., pour me la faire voir en toilette de mariée. Je serre ma
petite femme sur mon cœur, et miss Savinia pousse un cri parce
que je la chiffonne, et Dora rit et pleure tout à la fois de
me voir si content ; mais je crois à tout cela moins que
jamais.
« Trouvez-vous cela joli,
mon cher Dody ? me dit Dora.
– Joli ! je le crois
bien que je le trouve joli !
– Et êtes-vous bien
sûr de m’aimer beaucoup ? » dit Dora.
Cette question fait courir de tels
dangers au chapeau que miss Savinia pousse un autre petit cri, et
m’avertit que Dora est là seulement pour que je la
regarde, mais que, sous aucun prétexte, il ne faut y toucher.
Dora reste donc devant moi, charmante et confuse, tandis que je
l’admire ; puis elle ôte son chapeau (comme elle a
l’air gentil sans ce chapeau) et elle se sauve en l’emportant ;
puis elle revient dans sa robe de tous les jours, et elle demande à
Jip si j’ai une belle petite femme, et s’il pardonne à
sa maîtresse de se marier ; et, pour la dernière
fois de sa vie de jeune fille, elle se met à genoux pour le
faire tenir debout sur le livre de cuisine.
Je vais me coucher, plus incrédule
que jamais, dans une petite chambre que j’ai là tout
près ; et le lendemain matin je me lève de très
bonne heure pour aller à Highgate, chercher ma tante.
Jamais je n’avais vu ma tante
dans une pareille tenue. Elle a une robe de soie gris perle, avec un
chapeau bleu ; elle est superbe. C’est Jeannette qui l’a
habillée, et elle reste là à me regarder.
Peggotty est prête à partir pour l’église,
et compte voir la cérémonie du haut des tribunes.
M. Dick, qui doit servir de père à Dora, et me la
« donner pour femme » au pied de l’autel,
s’est fait friser.
1 comment