David Golder

Irène Némirovsky/David Golder

Irène Némirovsky est née à Kiev, le 11 février 1903. Son père est un grand banquier et sa mère, avec laquelle elle s’entend assez mal, inspirera plus tard à l’écrivain ces personnages de femmes du monde, frivoles et minées par l’anxiété de vieillir, qui apparaissent dans la plupart de ses romans. Lorsque éclate la révolution bolchévique de 1917, le père d’Irène est recherché et sa tête est mise à prix. La famille Némirovsky se cache à Moscou dans un petit appartement, jadis pied-à-terre d’un officier qui y a laissé sa bibliothèque. Pendant les bombardements, Irène, qui n’a guère plus de quatorze ans, lit le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde, qui restera toujours son livre favori. Elle découvre également À rebours de Huysmans et les nouvelles de Maupassant qu’elle lit dans le texte puisque, ayant été élevée par une gouvernante française, le français est, autant que le russe, sa langue maternelle.

Les Némirovsky réussissent à gagner la Finlande puis la Suède. Après une année passée à Stockholm, ils s’embarquent pour la France, où le père d’Irène parviendra à rétablir sa fortune. Tout en poursuivant des études de lettres à la Sorbonne, Irène Némirovsky écrit des dialogues et des contes qu’elle publie sous un pseudonyme dans des revues et des journaux.

En 1929, elle renvoie à Bernard Grasset le manuscrit de son premier roman, David Golder. Enthousiasmé, il décide aussitôt de le publier. Malheureusement, l’envoi ne mentionnait pas l’adresse de l’expéditeur et, pour retrouver l’écrivain, il a recours à une annonce par voie de presse. Cette annonce, Irène Némirovsky est empêchée d’y répondre tout de suite : elle est à la clinique où elle vient de donner naissance à son premier enfant.

David Golder, salué par la critique comme un chef-d’œuvre, remporte un succès immédiat. Paul Reboux, qui avait été l’un des premiers à attirer l’attention du public sur la jeune Colette, reconnaît, chez Irène Némirovsky, un talent tout aussi exceptionnel, tandis que Robert Brasilliach rend hommage à la qualité de son style.

En 1930, Irène Némirovsky publie le Bal, étincelant petit livre sur les désespoirs et les violences de l’enfance, qu’elle a écrit d’un trait entre les deux chapitres de David Golder. Jusqu’à la guerre, elle écrira neuf romans et un recueil de nouvelles.

Pendant l’Occupation, les lois raciales la contraignent à quitter Paris avec sa famille et à se réfugier en Saône-et-Loire. C’est dans cette retraite qu’elle écrira son dernier livre, Les Feux de l’Automne, publié en 1948, ainsi que La vie de Tchekhov (1946) et les Biens de ce monde (1947). Son arrestation par les nazis survient alors qu’elle est en train de rédiger Suite française, qui aurait sans doute été une de ses œuvres maîtresses. Irène Némirovsky est déportée à Auschwitz, où elle meurt en 1942. Son mari mourra aussi trois mois plus tard.

Épuisé par une nuit passée à la table de roulette, David Golder est victime d’une crise cardiaque. Il s’en sortira à condition d’éviter tout surmenage, c’est-à-dire de renoncer à ses affaires. Or, pour considérable qu’elle paraisse, sa fortune est fragile et, la nouvelle de sa maladie influant sur le cours de ses actions, en quelques jours, c’est la ruine. David Golder, abandonné par sa fille qui s’enfuit avec un gigolo, fera l’amère expérience de la solitude des pauvres.

Mais ce vieux joueur désabusé et cynique n’a pas dit son dernier mot. Une occasion s’offre à lui de redevenir riche, plus riche qu’il ne l’a jamais été. Par goût du risque, par habitude, et aussi pour Joyce, sa fille, le seul être au monde à qui il garde sa tendresse, Golder se lance dans cette dernière aventure.

Dans un style ramassé et aigu, Irène Némirovsky nous donne, sur les coulisses du monde de l’argent, un livre d’une remarquable puissance. Sa peinture est sans complaisance. Le financier véreux qui n’hésite pas à acculer son associé au suicide, ni les femelles cupides et hystériques qui l’entourent et gaspillent avec des gigolos l’argent qu’elles lui soutirent ne devraient éveiller notre sympathie. Pourtant, par un art d’aller au fond des consciences et de révéler, au-delà de l’ignominie, la détresse profonde de ses personnages, Irène Némirovsky parvient à les rendre émouvants.

Roman des mœurs d’un milieu qui évoque irrésistiblement l’affaire Stavisky et tragédie d’un vieil homme mal aimé, David Golder est aussi une sorte de fable morale sur la vanité des possessions matérielles, impuissantes à soulager le dénuement des âmes.

Adapté au cinéma, David Golder a fourni à Harry Baur la matière d’une de ses plus étonnantes créations.

CHAPITRE PREMIER

— Non, dit Golder.

Il leva brusquement l’abat-jour, de façon à rabattre toute la lumière de la lampe sur le visage de Simon Marcus, assis en face de lui, de l’autre côté de la table. Un moment, il regarda les plis, les rides, qui couraient sur toute la longue figure foncée de Marcus, dès que remuaient ses lèvres ou ses paupières, comme sur une eau sombre, agitée par le vent. Mais les yeux lourds, endormis d’Oriental, demeuraient calmes, ennuyés, indifférents. Un visage clos comme un mur. Golder abaissa avec précaution la tige de métal flexible qui soutenait la lampe.

— À cent, Golder ? Tu as bien compté ? C’est un prix, dit Marcus.

Golder murmura de nouveau :

— Non.

Il ajouta :

— Je ne veux pas vendre.

Marcus rit. Ses longues dents brillantes, pavées d’or scintillaient bizarrement dans l’ombre.

— En 1920, quand tu les as achetées, tes fameuses pétrolifères, ça valait quoi ? demanda-t-il de sa voix nasillarde, ironique, qui traînait sur les mots.

— J’ai acheté à quatre cents.