Maston, et elle vient de la similitude de deux noms.

En 1847 Maynard, étudiant en médecine à Boston, a bien eu l’idée d’employer le collodion au traitement des plaies, mais le collodion était connu en 1846. C’est à un Français, un esprit très distingué, un savant tout à la fois peintre, poète, philosophe, helléniste et chimiste, M. Louis Ménard, que revient l’honneur de cette grande découverte.— J. V.]

Chapitre 10 Un Ennemi sur vingt-cinq millions d'amis

Le public américain trouvait un puissant intérêt dans les moindres détails de l’entreprise du Gun-Club. Il suivait jour par jour les discussions du Comité. Les plus simples préparatifs de cette grande expérience, les questions de chiffres qu’elle soulevait, les difficultés mécaniques à résoudre, en un mot, « sa mise en train », voilà ce qui le passionnait au plus haut degré.

Plus d’un an allait s’écouler entre le commencement des travaux et leur achèvement ; mais ce laps de temps ne devait pas être vide d’émotions ; l’emplacement à choisir pour le forage, la construction du moule, la fonte de la Columbiad, son chargement très périlleux, c’était là plus qu’il ne fallait pour exciter la curiosité publique. Le projectile, une fois lancé, échapperait aux regards en quelques dixièmes de seconde ; puis, ce qu’il deviendrait, comme il se comporterait dans l’espace, de quelle façon il atteindrait la Lune, c’est ce qu’un petit nombre de privilégiés verraient seuls de leurs propres yeux. Ainsi donc, les préparatifs de l’expérience, les détails précis de l’exécution en constituaient alors le véritable intérêt.

Cependant, l’attrait purement scientifique de l’entreprise fut tout d’un coup surexcité par un incident.

On sait quelles nombreuses légions d’admirateurs et d’amis le projet Barbicane avait ralliées à son auteur. Pourtant, si honorable, si extraordinaire qu’elle fût, cette majorité ne devait pas être l’unanimité. Un seul homme, un seul dans tous les États de l’Union, protesta contre la tentative du Gun-Club ; il l’attaqua avec violence, à chaque occasion ; et la nature est ainsi faite, que Barbicane fut plus sensible à cette opposition d’un seul qu’aux applaudissements de tous les autres.

Cependant, il savait bien le motif de cette antipathie, d’où venait cette inimitié solitaire, pourquoi elle était personnelle et d’ancienne date, enfin dans quelle rivalité d’amour-propre elle avait pris naissance.

Cet ennemi persévérant, le président du Gun-Club ne l’avait jamais vu. Heureusement, car la rencontre de ces deux hommes eût certainement entraîné de fâcheuses conséquences. Ce rival était un savant comme Barbicane, une nature fière, audacieuse, convaincue, violente, un pur Yankee. On le nommait le capitaine Nicholl. Il habitait Philadelphie.

Personne n’ignore la lutte curieuse qui s’établit pendant la guerre fédérale entre le projectile et la cuirasse des navires blindés ; celui-là destiné à percer celle-ci ; celle-ci décidée à ne point se laisser percer. De là une transformation radicale de la marine dans les États des deux continents. Le boulet et la plaque luttèrent avec un acharnement sans exemple, l’un grossissant, l’autre s’épaississant dans une proportion constante. Les navires, armés de pièces formidables, marchaient au feu sous l’abri de leur invulnérable carapace. Les—Merrimac—, les—Monitor—, les—Ram-Tenesse—, les—Weckausen[45] — lançaient des projectiles énormes, après s’être cuirassés contre les projectiles des autres. Ils faisaient à autrui ce qu’ils ne voulaient pas qu’on leur fît, principe immoral sur lequel repose tout l’art de la guerre.

Or, si Barbicane fut un grand fondeur de projectiles, Nicholl fut un grand forgeur de plaques. L’un fondait nuit et jour à Baltimore, et l’autre forgeait jour et nuit à Philadelphie. Chacun suivait un courant d’idées essentiellement opposé.

Aussitôt que Barbicane inventait un nouveau boulet, Nicholl inventait une nouvelle plaque. Le président du Gun-Club passait sa vie à percer des trous, le capitaine à l’en empêcher. De là une rivalité de tous les instants qui allait jusqu’aux personnes. Nicholl apparaissait dans les rêves de Barbicane sous la forme d’une cuirasse impénétrable contre laquelle il venait se briser, et Barbicane, dans les songes de Nicholl, comme un projectile qui le perçait de part en part.

Cependant, bien qu’ils suivissent deux lignes divergentes, ces savants auraient fini par se rencontrer, en dépit de tous les axiomes de géométrie ; mais alors c’eût été sur le terrain du duel. Fort heureusement pour ces citoyens si utiles à leur pays, une distance de cinquante à soixante milles les séparait l’un de l’autre, et leurs amis hérissèrent la route de tels obstacles qu’ils ne se rencontrèrent jamais.

Maintenant, lequel des deux inventeurs l’avait emporté sur l’autre, on ne savait trop ; les résultats obtenus rendaient difficile une juste appréciation. Il semblait cependant, en fin de compte, que la cuirasse devait finir par céder au boulet.

Néanmoins, il y avait doute pour les hommes compétents. Aux dernières expériences, les projectiles cylindro-coniques de Barbicane vinrent se ficher comme des épingles sur les plaques de Nicholl ; ce jour-là, le forgeur de Philadelphie se crut victorieux et n’eut plus assez de mépris pour son rival ; mais quand celui-ci substitua plus tard aux boulets coniques de simples obus de six cents livres, le capitaine dut en rabattre. En effet ces projectiles, quoique animés d’une vitesse médiocre[46] , brisèrent, trouèrent, firent voler en morceaux les plaques du meilleur métal.

Or, les choses en étaient à ce point, la victoire semblait devoir rester au boulet, quand la guerre finit le jour même où Nicholl terminait une nouvelle cuirasse d’acier forgé ! C’était un chef-d’œuvre dans son genre ; elle défiait tous les projectiles du monde. Le capitaine la fit transporter au polygone de Washington, en provoquant le président du Gun-Club à la briser. Barbicane, la paix étant faite, ne voulut pas tenter l’expérience.

Alors Nicholl, furieux, offrit d’exposer sa plaque au choc des boulets les plus invraisemblables, pleins, creux, ronds ou coniques. Refus du président qui, décidément, ne voulait pas compromettre son dernier succès.

Nicholl, surexcité par cet entêtement inqualifiable, voulut tenter Barbicane en lui laissant toutes les chances. Il proposa de mettre sa plaque à deux cents yards du canon. Barbicane de s’obstiner dans son refus.