La cible aérienne que les hommes traversent sans s'en douter se disloque lentement au gré des amants et la sphère, cerclée de parallèles comme ses seins, crève ainsi qu'un ballon. Dirigeables et ballons, aéroplanes et vapeurs, locomotives et automobiles, tout est mystère dans mon immobile amour pour ses seins. »

Après avoir parlé, je regardai :

 

Le désert qui s'étendait autour de moi était peuplé d'échos qui me mirent cruellement en présence de ma propre image reflétée dans le miroir des mirages. Les femmes qui tenaient ces glaces à main étaient nues, hormis leurs mains qui étaient gantées, leur sein gauche, gainé de taffetas moiré noir à faire hurler mes gencives de volupté, hormis aussi leurs cheveux dissimulés sous une écharpe de fine laine jaune. Quand ces femmes se retournaient je pouvais tout voir de leur dos merveilleux, tout hormis la nuque, la colonne vertébrale et cette partie de la croupe où la cambrure prend naissance, cachées qu'elles étaient par les pans de l'écharpe. Cette nudité partielle et savamment irritante pour moi a-t-elle causé ma folie ? Dites-le-moi, vous dont le mystère est la fin, le but.

Ne vous enfuyez plus, passagères de première classe, quand l'émigrant clandestin, lié à l'hélice pour faire à peu de frais la traversée, vous appelle le soir, à l'heure où, penchées près de la hampe, vous cherchez à identifier vos cheveux, l'ondoiement de l'étendard et les flots. Vos visages et le reflet de vos visages se présentent tour à tour au-dessus et au-dessous de lui : Comment voulez-vous que son imagination, qui gravite au gré de l'hélice, autour de l'arbre d'acier sans racine, ne confonde pas votre réalité et votre image, fruits de l'arbre à hélice, belles passagères érotiquement vêtues, et pourquoi vous enfuir quand vous l'entendez dire dans la nuit, à l'heure où la Croix du Sud et l'Étoile Polaire se heurtent sur le tapis bleu des salles de bridge :

« Elles sont mystère, mystère. Leurs cheveux sont des toiles de mystère... le mystère est leur but, leur fin... leur faim c'est le mystère. Elles ont bu, mais elles ont faim, la fin du mystère est-elle le but de leur faim ? »

 

Pitié pour l'amant des homonymes.

*

21 HEURES LE 26-11-22

En attendant

en nattant l'attente

Sous quelle tente

mes tantes

ont-elles engendré

les neveux silencieux

que nul ne veut sous les cieux

appeler ses cousins ?

En nattant les cheveux du silence

six lances

percent mes pensées en attendant.

*

Notre paire quiète, ô yeux !

que votre « non » soit sang (t'y fier ?)

que votre araignée rie,

que votre vol honteux soit fête (au fait)

sur la terre (commotion).

 

Donnez-nous, aux joues réduites,

notre pain quotidien.

Part, donnez-nous, de nos œufs foncés

comme nous part donnons

à ceux qui nous ont offensés.

Nounou laissez-nous succomber à la tentation

et d'aile ivrez-nous du mal.

*

Exhausser ma pensée

Exaucer ma voix

*

Prisonnier des

{

syllabes

et non des sens

mots

Pris au nier · · · · · · · · · · ?

des cils a bai

{

ser

ssés

haï

Oh ! bais non des sens

mais des FORMES-PRISONS

*

Cataracte des flots cataracte des yeux

aux cheveux roux des roues

feues nos mains, feus nos yeux furent maîtres des feux.

Dans nos vaisseaux battus par un sang sans globule

voguent de grands vaisseaux portant dans des cellules

les grands forçats sanglants qui burent nos cellules.

Au bout du môle blanc les sirènes sont molles.

Sirènes des vapeurs avez-vous vu Méduse aux cheveux de méduse :

Mes pupilles sont devenues ses amoureuses pupilles.

Jetez le lest vers l'est lestes ballons. Volez jusqu'au soleil pour voler quoi ?

La peine des regards, yeux au pène hermétique,

Offre un calme de reines antiques

Coupez les rênes. Laissez-les galoper, les rennes !

Chœur des cœurs. – Le corps des prunelles est le fruit de jouir

Goûtez les prunelles avant de mourir,

Aux arbres des forêts le marbre des forts est.

Cent nageurs ont plongé dans le sang des prunelles

Cent nageurs ont péri du désir des cruelles, sens, nageur le sang des sans-cervelle

Pitié pour le désert où des airs sans pitié sur les aîtres du cœur ont renseigné les hêtres

Cent hiers ont fléchi sur l'herbe des sentiers qu'ont foulés cent aimées en secret de nos êtres

Faire du fer pour panser nos pensées avec la mousse du vin, avec la mousse du vain

Du vin pour les mousses quand souffle la mousson

Et que nous dormons sur la mousse, levain du vin.

Sous quel manteau trouble dérober nos troubles mentaux ?

Je mens aux multiples consciences.

*

Les moules des mers

aux moules des mères

empruntent leur forme d'œil

homme – houle d'aimer.

*

Ail de ton œil,

je t'aime à cause de cela.

*

Nos tâches tachent

tour à tour

les tours

d'alentours.

*

Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards

chaussés de vair ?

*

Maître des pals, ô mâle !

le mal ne rend pas ta face plus pâle ;

que les opales fassent naître dans tes malles

des cours d'eau.

Mais ils seront si cours

que les chanteurs des cours,

baissant le dos, perdront le do.

Ah ! cours, maître du mal et du pal.

Il n'y pas de mètre pour mesurer ta vie

{

ton

{

ta

 

{

l'âme sûre de la vie

ni de malle pour mettre

 
 

et la mesure de l'envie.

*

Plutôt se pendre aux pins,

s'éprendre des yeux peints,

que de gagner son pain

où les fleuves vont s'épandre.

*

Mords le mord de la mort Maure silencieux.

Cils ! aux cieux

dérobez nos yeux.

 

Non, nous n'avons pas de nom.

*

Plus que la nuit nue

la femme vient hanter

nos rêves pareils à Antée

antés des désirs renaissants.

 

Nos pères ! C'est parce que vous n'aviez pas les yeux pers.

 

Changez vos cœurs au pair avec les dollars

Change ton cœur, opère sans douleur.

*

J'aime vos cous marqués de coups,

maîtresses des fauves

(mes tresses défaut)

j'aime des desseins, non des seins,

j'aime les dents des dames.

Pis, j'aime les pieds, non les pies non les pis

 

mais l'épée ?

*

Mes chants sont si peu méchants

Ils ne vont pas jusqu'à Longchamp

Ils meurent avant d'atteindre les champs

Où les bœufs s'en vont léchant

des astres

désastres.

*

L'an est si lent.

Abandonnons nos ancres dans l'encre,

 

mes amis.

*

De si haut les eaux tombent-elles sur nos os ?

Voici haut les oiseaux

la voie des tombes : voix os.

*

Un à un

les huns

passent l'Aisne

Nos aines confondent nos haines,

Henri Heine.

Un à un

les huns

deviennent des nains.

Perdez-vous dans l'Ain

et non dans l'Aisne.

 

Hein ?

*

Tant d'or.

 

Passez les patries à l'épreuve du tan

et du temps

et encore des taons.

*

L'art est le dieu lare

des mangeurs de lard

et les phares dévoilent le fard

des courtisanes du Far-West qui s'effarent.

*

Dormir.

Les sommes nocturnes révèlent

la somme des mystères des hommes.

Je vous somme, sommeils,

de m'étonner

et de tonner.

*

BLANC SEING

Hommes mangés aux mythes

Il est trop tard pour soupeser vos tares

aux cinq blancs seins si saints de n'être pas sains

nous sommes soumis

L'appeau ? la peau, peau-pierre

Aimez-vous la paupière des seins ?

Ces pots de peau simulent la pierre blanchie par les flots

Pour mesurer ces seins πr est inutile

Ces pots de lait sont laids je les abandonne aux faiseurs de lais.

Moi j'aime l'épaule de la femme

les pôles de l'affame

et ses reins froids comme les cailloux du Rhin.

(27 novembre 1922)

*

Vingt fois buvez ce vin.

L'or est hors de nos mains

qui demain

palperont les cinq seins

 

d'une femme plus belle que

la qui bêle.

timide

}

à nos portes

humide

on la porte en ville

(la beauté est vile)

civile

 

mille grains de mil

pour les gringalets

 

ricochez sur la vie.

*

Les chats hauts sur les châteaux

d'espoir

Croquent des poires d'angoisse

la nuit

l'ennui

l'âme nuit.

 

Et puis il y a le puits

qui s'enfonce dans la terre

où s'atterrent

les faibles

que brise la brise.

 

Poète venu de Lorient

que dis-tu de l'orient ?

l'or riant.

*

Les mûres sont mûres le long des murs

et des bouches bouchent nos yeux.

Les porcs débarquent dans des ports

d'Amérique

et de nos pores

s'enfuient les désirs.

*

Vos bouches mentent,

vos mensonges sentent la menthe,

Amantes !

 

Cristaux où meurt le Christ

reflétez la froide beauté

de Kristiana.

 

Nos traditions ?

Notre addition !

*

Les ponts s'effondrent tous

au cri du paon qui pond

et les pans de ponts

transforment les rivières.

 

Aux lacs des lacs

meurent les paons

enlisés dans la gomme laque.

*

AUTANT POUR LES GROSSES

Autant pour les crosses, Évêques caducs qui baptisez les

Èves aux aqueducs.

Autant pour les crosses, gens qui associez à l'amour votre aorte.

Flexible. Flexible, ma chère Flexible,

Est-ce ma chair, ma chère, sont-ce des crosses que vous cherchez ?

Autant pour

Autant dire.

Ici c'est Charles Cros.

Jamais plus pour Charles Cros.

*

Dans la paume de vos mains

que font ces pommes ?

Un jour les échos

nous paieront leur écot.

 

Voici l'homme le plus beau, il a un pied bot,

Les hommes sereins s'enrhument sous le serein,

Synonymes assassinonimes au moins,

Sinon mime l'homme au nid (me).

 Gaieté

Joie

 guetter

j'ois

épiler et piller épier

j'entends j'antan

raser racer r'assez

jadis jà dix ? jade Ys

 mare flac

 

 harasser étalonner

autrefois

frôler

 

 fatiguer

autre foi

effleurer et talonner et fatiguer

hérésie errez y (ne vous garez pas !)

 

et Gare Ève où ?

 

Egarez-vous.

*

P'OASIS

Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.

– Sœur Anne, ma Sainte Anne, ne vois-tu rien venir... vers Sainte-Anne ?

– Je vois les pensées odorer les mots.

– Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.

De nous naissent les pensées.

– Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.

Les mots sont nos esclaves.

– Nous sommes

– Nous sommes

– Nous sommes les lettres arborescentes qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux.

Nous n'avons pas d'esclaves.

– Sœur Anne, ma sœur Anne, que vois-tu venir vers Sainte-Anne ?

– Je vois les Pan C

– Je vois les crânes KC

– Je vois les mains DCD

– Je les M

– Je vois les pensées BC et les femmes ME

et les poumons qui en ont AC de l'RLO

poumons noyés des ponts NMI.

Mais la minute précédente est déjà trop AG.

– Nous sommes les arborescences qui fleurissent sur les déserts des jardins cérébraux.

*

Prenez vos 16

Litanies

n'italie

Inde œuf, un deux, la muscadence

Troie, qu'âtre neuf dans les seins (les siens) sise

les seins, cet étui pour le 9

Troie m'Ilion

zéro

rosée rose si 12

réseau

navigateurs traversez les 2-3

à toute 8-S

11 ondes jusqu'à vos bouches portent l'odeur marine

des 13 fraises

Par nos amours décuplées nous devenons vains

mais 10-20-2-20

En somme, F M R F I J

sommes-nous des cow-boys de l'Arizona dans un laboratoire

ou des cobayes prenant l'horizon pour un labyrinthe ?

*

RROSE SÉLAVY, ETC.

Rose aisselle a vit.

Rr'ose, essaie là, vit.

Rôts et sel à vie.

Rose S, L, have I.

Rosée, c'est la vie.

Rrose scella vît.

Rrose sella vît.

Rrose sait la vie.

Rose, est-ce, hélas, vie ?

Rrose aise héla vît.

Rrose est-ce aile, est-ce elle ?

est celle

AVIS

*

S. E.

E. C.

*

(10 décembre 1923)

*

DIALOGUE

– Rien ne m'intéresse.

– Rie, en aimant, Thérèse.

LANGAGE CUIT

(1923)

VENT NOCTURNE

Sur la mer maritime se perdent les perdus

Les morts meurent en chassant des chasseurs

dansent en rond une ronde

Dieux divins ! Hommes humains !

de mes doigts digitaux je déchire une cervelle

cérébrale.

Quelle angoissante angoisse

Mais les maîtresses maîtrisées ont des cheveux chevelus

Cieux célestes

terre terrestre

mais où est la terre céleste ?

LANGAGE CUIT

I

Ce vieillard encore violet ou orangé ou rose

porte un pantalon en trompe d'éléphant.

 

Mon amour jette-moi ce regard chaud

où se lisent de blancs desseins !

 

Portrait au rallongé de nos âmes

parlerons-nous à cœur fermé et ce cœur

sur le pied ?

Ou jouerons-nous toute la nuit à la main froide ?

LANGAGE CUIT

II

D'une voix noire

d'une voix maigre

m'a séduite

dans la nuit mince

dans le jour des temps.

Se vêtir d'un crêpe de chevelure

la muse aux seins mourants.

 

Et la voix ronde

dit que la voie est esclave.

 

Quelle lumière cuite ce jour-là !

A PRÉSENT

J'aimai avec passion ces longues fleurs qui éclatai-je à mon entrée. Chaque lampe se transfigurai-je en œil crevé d'où coulai-je des vins plus précieux que la nacre et les soupirs des femmes assassinées.

 

Avec frénésie, avec frénésie nos passions naquis-je et le fleuve Amazone lui-même ne bondis-je pas mieux.

Écouté-je moi bien ! Du coffret jaillis-je des océans et non des vins et le ciel s'entr'ouvris-je quand il parus-je.

Le nom du seigneur n'eus-je rien à faire ici.

 

Les belles mourus-je d'amour et les glands, tous les glands tombai-je dans les ruisseaux.

La grande cathédrale se dressai-je jusqu'au bel œil.

L'œil de ma bien-aimée.

Il connus-je des couloirs de chair. Quant aux murs ils se liquéfiai-je et le dernier coup de tonnerre fis-je disparaître de la terre tous les tombeaux.

IDEAL MAITRESSE

Je m'étais attardé ce matin-là à brosser les dents d'un joli animal que, patiemment, j'apprivoise. C'est un caméléon. Cette aimable bête fuma, comme à l'ordinaire, quelques cigarettes puis je partis.

Dans l'escalier je la rencontrai. « Je mauve » me dit-elle et tandis que moi-même je cristal à pleine ciel-je à son regard qui fleuve vers moi.

Or il serrure et, maîtresse ! Tu pitchpin qu'a joli vase je me chaise si les chemins tombeaux.

L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche.

Remontons ! mais en vain, les souvenirs se sardine ! à peine, à peine un bouton tirelire-t-il. Tombez, tombez ! En voici le verdict : « La danseuse sera fusillée à l'aube en tenue de danse avec ses bijoux immolés au feu de son corps. Le sang des bijoux, soldats ! »

Eh quoi, déjà je miroir. Maîtresse tu carré noir et si les nuages de tout à l'heure myosotis, ils moulins dans la toujours présente éternité.

CHANSON DE CHASSE

La chasseresse sans chance

de son sein choie son sang sur ses chasselas

chasuble sur ce chaud si chaud sol

chat sauvage

chat chat sauvage qui vaut sage

chat sage ou sage sauvage

laissez sécher les chasses léchées

chasse ces chars sans chevaux et cette échine

sans châle

si sûre chasseresse

son sort qu'un chancre sigille

chose sans chagrin

chanson sans chair chanson chiche.

ÉLÉGANT CANTIQUE

DE SALOMÉ SALOMON

Mon mal meurt mais mes mains miment

Nœuds, nerfs non anneaux. Nul nord

Même amour mol ? mames, mord

Nus nénés nonne ni Nine.

Où est Ninive sur la mammemonde ?

Ma mer, m'amis, me murmure :

« nos nils noient nos nuits nées neiges ».

Meurt momie ! môme : âme au mur.

Néant nié nom ni nerf n'ai-je !

Aime haine

Et n'aime

haine aime

aimai ne

 

M N

N M

N M

M N

LE BONBON

Je je suis suis le le roi roi

des montagnes

j'ai de de beaux beaux bobos beaux beaux yeux yeux

il fait une chaleur chaleur

 

j'ai nez

j'ai doigt doigt doigt doigt doigt à à

chaque main main

 

j'ai dent dent dent dent dent dent dent

dent dent dent dent dent dent dent

dent dent dent dent dent dent dent

dent dent dent dent dent dent dent

dent dent dent dent

Tu tu me me fais fais souffrir

mais peu m'importe m'importe

la la porte porte.

AU MOCASSIN LE VERBE

Tu me suicides, si docilement.

Je te mourrai pourtant un jour.

Je connaîtrons cette femme idéale

et lentement je neigerai sur sa bouche.

Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si

je fais beau temps.

Nous aimez si peu nos yeux

et s'écroulerai cette larme sans

raison bien entendu et sans tristesse.

Sans.

CŒUR EN BOUCHE

Son manteau traînait comme un soleil couchant

et les perles de son collier étaient belles comme des dents.

Une neige de seins qu'entourait la maison

et dans l'âtre un feu de baisers.

Et les diamants de ses bagues étaient plus brillants que des yeux.

« Nocturne visiteuse Dieu croit en moi !

– Je vous salue gracieuse de plénitude

les entrailles de votre fruit sont bénies.

Dehors se courbent les roseaux fines tailles.

Les chats grincent mieux que les girouettes.

Demain à la première heure, respirer des roses aux doigts d'aurore

et la nue éclatante transformera en astre le duvet. »

 

Dans la nuit ce fut l'injure des rails aux indifférentes locomotives

près des jardins où les roses oubliées

sont des amourettes déracinées.

« Nocturne visiteuse un jour je me coucherai dans un linceul comme dans une mer.

Tes regards sont des rayons d'étoile

les rubans de ta robe des routes vers l'infini.

Viens dans un ballon léger semblable à un cœur

malgré l'aimant, arc de triomphe quant à la forme.

Les giroflées du parterre deviennent les mains les plus belles d'Haarlem.

Les siècles de notre vie durent à peine des secondes.

A peine les secondes durent-elles quelques amours.

A chaque tournant il y a un angle droit qui ressemble à un vieillard.

Le loup à pas de nuit s'introduit dans ma couche.

Visiteuse ! Visiteuse ! tes boucliers sont des seins !

Dans l'atelier se dressent aussi sournoises que des langues les vipères.

Et les étaux de fer comme les giroflées sont devenus des mains.

Avec les fronts de qui lapiderez-vous les cailloux ?

Quel lion te suit plus grondant qu'un orage ?

Voici venir les cauchemars des fantômes. »

Et le couvercle du palais se ferma aussi bruyamment que les portes du cercueil.

On me cloua avec des clous aussi maigres que des morts

dans une mort de silence.

Maintenant vous ne prêterez plus d'attention

aux oiseaux de la chansonnette.

L'éponge dont je me lave n'est qu'un cerveau ruisselant

et des poignards me pénètrent avec l'acuité de vos regards.

L'ASILE AMI

Là ! L'Asie. Sol miré, phare d'haut, phalle ami docile à la femme, il l'adore, et dos ci dos là mille a mis ! Phare effaré la femme y résolut d'odorer la cire et la fade eau. L'art est facile à dorer : fard raide aux mimis, domicile à lazzi. Dodo l'amie outrée !

 

UN JOUR QU'IL FAISAIT NUIT

Il s'envola au fond de la rivière.

Les pierres en bois d'ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.

Tout rien.

Je la hais d'amour comme tout un chacun.

Le mort respirait de grandes bouffées de vide.

Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.

Après cela il descendit au grenier.

Les étoiles de midi resplendissaient.

Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.

Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.

En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.

Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.

Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l'aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.

La pluie nous sécha.

ISABELLE ET MARIE

Isabelle rencontra Marie au bas de l'escalier :

« Tu n'es qu'une chevelure ! lui dit-elle.

– et toi une main.

– main toi-même, omoplate !

– omoplate ? c'est trop fort, espèce de sein.

– Langue ! dent ! pubis !

– œil !

– cils ! aisselle ! rein !

– gorge !... oreille !

– Oreille ? moi ? regarde-toi, narine !

– non mais, vieille gencive !

– doigt !

– con ! »

(31 mai 1923)

LA COLOMBE DE L'ARCHE

Maudit !

soit le père de l'épouse

du forgeron qui forgea le fer de la cognée

avec laquelle le bûcheron abattit le chêne

dans lequel on sculpta le lit

où fut engendré l'arrière-grand-père

de l'homme qui conduisit la voiture

dans laquelle ta mère

rencontra ton père.

(14 novembre 1923)

C'ÉTAIT UN BON COPAIN

Il avait le cœur sur la main

Et la cervelle dans la lune

C'était un bon copain

Il avait l'estomac dans les talons

Et les yeux dans nos yeux

C'était un triste copain

Il avait la tête à l'envers

Et le feu là où vous pensez

Mais non quoi il avait le feu au derrière

C'était un drôle de copain

Quand il prenait ses jambes à son cou

Il mettait son nez partout

C'était un charmant copain

Il avait une dent contre Étienne

A la tienne Étienne à la tienne mon vieux

C'était un amour de copain

Il n'avait pas sa langue dans la poche

Ni la main dans la poche du voisin

Il ne pleurait jamais dans mon gilet

C'était un copain

C'était un bon copain.

A LA MYSTÉRIEUSE

(1926)

O DOULEURS DE L'AMOUR !

O douleurs de l'amour !

Comme vous m'êtes nécessaires et comme vous m'êtes chères.

Mes yeux qui se ferment sur des larmes imaginaires, mes mains qui se tendent sans cesse vers le vide.

J'ai rêvé cette nuit de paysages insensés et d'aventures dangereuses aussi bien du point de vue de la mort que du point de vue de la vie qui sont aussi le point de vue de l'amour.

Au réveil vous étiez présentes, ô douleurs de l'amour, ô muses du désert, ô muses exigeantes.

Mon rire et ma joie se cristallisent autour de vous.

C'est votre fard, c'est votre poudre, c'est votre rouge, c'est votre sac de peau de serpent, c'est vos bas de soie... et c'est aussi ce petit pli entre l'oreille et la nuque, à la naissance du cou, c'est votre pantalon de soie et votre fine chemise et votre manteau de fourrure, votre ventre rond c'est mon rire et mes joies vos pieds et tous vos bijoux.

En vérité, comme vous êtes bien vêtue et bien parée.

 

O douleurs de l'amour, anges exigeants, voilà que je vous imagine à l'image même de mon amour, que je vous confonds avec lui...

O douleurs de l'amour, vous que je crée et habille, vous vous confondez avec mon amour dont je ne connais que les vêtements et aussi les yeux, la voix, le visage, les mains, les cheveux, les dents, les yeux...

J'AI TANT RÊVÉ DE TOI

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère ?

J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

O balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

LES ESPACES DU SOMMEIL

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du monde et la grandeur et le tragique et le charme.

Les forêts s'y heurtent confusément avec des créatures de légende cachées dans les fourrés.

Il y a toi.

Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l'assassin et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de la lanterne du chiffonnier.

Il y a toi.

Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les premiers frissons de l'aube.

Il y a toi.

Un air de piano, un éclat de voix.

Une porte claque. Une horloge.

Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.

Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.

Il y a toi l'immolée, toi que j'attends.

Parfois d'étranges figures naissent à l'instant du sommeil et disparaissent.

Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d'artifice charnus.

Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.

Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.

Et l'âme palpable de l'étendue.

Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d'il y a 2.000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme et des baisers.

Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.

Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais au contraire.

Mais qui, présente dans mes rêves, t'obstines à s'y laisser deviner sans y paraître.

Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.

Toi qui m'appartiens de par ma volonté de te posséder en illusion mais qui n'approches ton visage du mien que mes yeux clos aussi bien au rêve qu'à la réalité.

Toi qu'en dépit d'une rhétorique facile où le flot meurt sur les plages, où la corneille vole dans des usines en ruines, où le bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb.

Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant quand je baise ta main.

Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.

Dans la nuit il y a les merveilles du monde.

Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens mais il y a le sommeil.

Dans la nuit il y a toi.

Dans le jour aussi.

SI TU SAVAIS

Loin de moi et semblable aux étoiles, à la mer et à tous les accessoires de la mythologie poétique,

Loin de moi et cependant présente à ton insu,

Loin de moi et plus silencieuse encore parce que je t'imagine sans cesse,

Loin de moi, mon joli mirage et mon rêve éternel, tu ne peux pas savoir.

Si tu savais.

Loin de moi et peut-être davantage encore de m'ignorer et m'ignorer encore.

Loin de moi parce que tu ne m'aimes pas sans doute ou ce qui revient au même, que j'en doute.

Loin de moi parce que tu ignores sciemment mes désirs passionnés.

Loin de moi parce que tu es cruelle.

Si tu savais.

Loin de moi, ô joyeuse comme la fleur qui danse dans la rivière au bout de sa tige aquatique, ô triste comme sept heures du soir dans les champignonnières.

Loin de moi silencieuse encore ainsi qu'en ma présence et joyeuse encore comme l'heure en forme de cigogne qui tombe de haut.

Loin de moi à l'instant où chantent les alambics, à l'instant où la mer silencieuse et bruyante se replie sur les oreillers blancs.

Si tu savais.

Loin de moi, ô mon présent présent tourment, loin de moi au bruit magnifique des coquilles d'huîtres qui se brisent sous le pas du noctambule, au petit jour, quand il passe devant la porte des restaurants.

Si tu savais.

Loin de moi, volontaire et matériel mirage.

Loin de moi c'est une île qui se détourne au passage des navires.

Loin de moi un calme troupeau de bœufs se trompe de chemin, s'arrête obstinément au bord d'un profond précipice, loin de moi, ô cruelle.

Loin de moi, une étoile filante choit dans la bouteille nocturne du poète.