À cette époque, les éditeurs, qui se disputaient ses contes pour leurs almanachs, avaient coutume, pour se mettre dans ses bonnes grâces, d'ajouter à leur envoi d'argent une caisse de vins de France.
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Profondes joies du vin, qui ne vous a connues ? Quiconque a eu un remords à apaiser, un souvenir à évoquer, une douleur à noyer, un château en Espagne à bâtir, tous enfin vous ont invoqué, dieu mystérieux caché dans les fibres de la vigne. Qu'ils sont grands les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur !
Qu'elle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l'homme puise en lui ! Mais combien sont redoutables aussi ses voluptés foudroyantes et ses enchantements énervants. Et cependant dites, en votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, vous tous que le bonheur rend doux, à qui la fortune rend la vertu et la santé faciles, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l'homme qui boit du génie ?
D'ailleurs le vin n'est pas toujours ce terrible lutteur sûr de sa victoire, et ayant juré de n'avoir ni pitié ni merci. Le vin est semblable à l'homme : on ne saura jamais jusqu'à quel point on peut l'estimer et le mépriser, l'aimer et le haïr, ni de combien d'actions sublimes ou de forfaits monstrueux il est capable. Ne soyons donc pas plus cruels envers lui qu'envers nous-mêmes, et traitons-le comme notre égal.
Il me semble parfois que j'entends dire au vin : - Il parle avec son âme, avec cette voix des esprits qui n'est entendue que des esprits.
- « Homme, mon bien aimé, je veux pousser vers toi, en dépit de ma prison de verre et de mes verrous de liège, un chant plein de fraternité, un chant plein de joie, de lumière et d'espérance. Je ne suis point ingrat; je sais que je te dois la vie. Je sais ce qu'il t'en a coûté de labeur et de soleil sur les épaules. Tu m'as donné la vie, je t'en récompenserai. Je te payerai largement ma dette ; car j'éprouve une joie extraordinaire quand je tombe au fond d'un gosier altéré par le travail. La poitrine d'un honnête homme est un séjour qui me plaît bien mieux que ces caves mélancoliques et insensibles. C'est une tombe joyeuse où j'accomplis ma destinée avec enthousiasme. Je fais dans J'estomac du travailleur un grand remue-ménage, et de là par des escaliers invisibles je monte dans son cerveau où j'exécute ma danse suprême.
« Entends-tu s'agiter en moi et résonner les puissants refrains des temps anciens, les chants de J'amour et de la gloire ? Je suis J'âme de la patrie, je suis moitié galant, moitié militaire. Je suis l'espoir des dimanches.
Le travail fait les jours prospères, le vin fait les dimanches heureux.
Les coudes sur la table de famille et les manches retroussées, tu me glorifieras fièrement, et tu seras vraiment content.
« J'allumerai les yeux de ta vieille femme, la vieille compagne de tes chagrins journaliers et de tes plus vieilles espérances. J'attendrirai son regard et je mettrai au fond de sa prunelle l'éclair de sa jeunesse.
Et on cher petit, tout pâlot, ce pauvre petit ânon attelé la même fatigue que le limonier, je lui rendrai les belles couleurs de son berceau, et je serai pour ce nouvel athlète de la vie l'huile qui raffermissait les muscles les anciens lutteurs.
« Je tomberai au fond de ta poitrine comme une ambroisie végétale. Je serai le grain qui fertilise le sillon douloureusement creusé. Notre intime réunion créera la poésie. À nous deux nous ferons un Dieu, et tous voltigerons vers l'infini, comme les oiseaux, les papillons, les fils de la Vierge, les parfums et toutes les choses ailées. Voilà ce que chante le vin dans son langage mystérieux. Malheur à celui dont le coeur égoïste et fermé aux douleurs de ses frères n'a jamais entendu cette chanson !
J'ai souvent pensé que si Jésus-Christ paraissait aujourd'hui sur le banc des accusés, il se trouverait quelque procureur qui démontrerait que son cas est aggravé par la récidive. Quant au vin, il récidive tous les jours. Tous les jours il répète ses bienfaits.
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