Peut-être êtes-vous son amant ; si vous ne l’êtes pas, il est certain pour moi que vous le deviendrez. Oh ! vous m’avez promis de ne rien dire. Ne dites rien, je ne vous demande rien. Je vous crois digne de l’honneur que je vous attribue ; mais je crains que vous ne connaissiez pas assez Thérèse, et que vous ne sachiez pas assez que, si votre amour est une gloire pour elle, le sien en est une égale pour vous. Je crains cela à cause des questions que vous m’avez faites sur elle, et de certains propos que l’on a tenus, devant nous deux, sur son compte, et dont je vous ai vu plus ému que moi. C’est la preuve que vous ne savez rien ; moi qui sais tout, je veux tout vous dire, afin que votre attachement pour Mlle Jacques soit fondé sur l’estime et le respect qu’elle mérite.
– Attendez, Palmer ! s’écria Laurent, qui grillait d’entendre, mais qui fut pris d’un généreux scrupule. Est-ce avec la permission ou par l’ordre de Mlle Jacques que vous allez me raconter sa vie ?
– Ni l’un ni l’autre, répondit Palmer. Jamais Thérèse ne vous racontera sa vie.
– Alors taisez-vous ! Je ne veux savoir que ce qu’elle voudra que je sache.
– Bien, très bien ! répondit Palmer en lui serrant la main ; mais si ce que j’ai à vous dire la justifie de tout soupçon ?...
– Pourquoi le cache-t-elle, alors ?
– Par générosité pour les autres.
– Eh bien ! parlez, dit Laurent, qui n’y pouvait plus tenir.
– Je ne nommerai personne, reprit Palmer. Je vous dirai seulement que, dans une grande ville de France, il y avait un riche banquier qui séduisit une charmante fille, institutrice de sa propre fille. Il en eut une bâtarde, qui naquit, il y vingt-huit ans, le jour de Saint-Jacques au calendrier, et qui, inscrite à la municipalité comme née de parents inconnus, reçut pour tout nom de famille le nom de Jacques. Cette enfant, c’est Thérèse.
« L’institutrice fut dotée par le banquier et mariée cinq ans plus tard avec un de ses employés, honnête homme qui ne se doutait de rien, toute l’affaire ayant été tenue fort secrète. L’enfant était élevée à la campagne. Son père s’était chargé d’elle. Elle fut mise ensuite dans un couvent, où elle reçut une très belle éducation, et fut traitée avec beaucoup de soin et d’amour. Sa mère la voyait assidûment dans les premières années ; mais, quand elle fut mariée, le mari eut des soupçons, et, donnant la démission de son emploi chez le banquier, il emmena sa femme en Belgique, où il se créa des occupations, et fit fortune. La pauvre mère dut étouffer ses larmes et obéir.
« Cette femme vit toujours très loin de sa fille : elle a d’autres enfants, elle a eu une conduite irréprochable depuis son mariage ; mais elle n’a jamais été heureuse. Son mari, qui l’aime, la tient en chartre privée ; et n’a pas cessé d’en être jaloux ; ce qui pour elle est un châtiment mérité de sa faute et de son mensonge.
« Il semblerait que l’âge eût dû amener la confession de l’une et le pardon de l’autre. Il en eût été ainsi dans un roman ; mais il n’y a rien de moins logique que la vie réelle, et ce ménage est troublé comme au premier jour, le mari amoureux, inquiet et rude, la femme repentante, mais muette et opprimée.
« Dans les circonstances difficiles où s’est trouvée Thérèse, elle n’a donc pu avoir ni l’appui, ni les conseils, ni les secours, ni les consolations de sa mère. Pourtant celle-ci l’aime d’autant plus qu’elle est forcée de la voir en secret, à la dérobée, quand elle réussit à venir passer seule un ou deux jours à Paris, comme cela lui est arrivé dernièrement. Encore n’est-ce que depuis quelques années qu’elle a pu inventer je ne sais quels prétextes et obtenir ces rares permissions. Thérèse adore sa mère, et n’avouera jamais rien qui puisse la compromettre. Voilà pourquoi vous ne lui entendez jamais souffrir un mot de blâme sur la conduite des autres femmes. Vous avez pu croire qu’elle réclamait ainsi tacitement l’indulgence pour elle-même. Il n’en est rien. Thérèse n’a rien à se faire pardonner ; mais elle pardonne tout à sa mère : ceci est l’histoire de leurs relations.
« À présent, j’ai à vous raconter celle de la comtesse de... trois étoiles. C’est ainsi, je crois, que vous dites en français quand vous ne voulez pas nommer les gens. Cette comtesse, qui ne porta ni son titre, ni le nom de son mari, c’est encore Thérèse.
– Elle est donc mariée ? elle n’est pas veuve ?
– Patience ! elle est mariée, et elle ne l’est pas. Vous allez voir.
« Thérèse avait quinze ans quand son père le banquier se trouva veuf et libre ; car ses enfants légitimes étaient tous établis. C’était un excellent homme, et, malgré la faute que je vous ai racontée et que je n’excuse pas, il était impossible de ne pas l’aimer, tant il avait d’esprit et de générosité.
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