Les femmes doivent donc s’arranger de telle manière que les hommes ne puissent obtenir d’elles cette chose unique qu’en échange du soin qu’ils s’engagent à prendre d’elles et des enfants futurs : de cet arrangement dépend le bonheur de toutes les femmes. Pour l’obtenir, il est indispensable quelles se soutiennent et fassent preuve d’esprit de corps. Aussi marchent-elles comme une seule femme et en rangs serrés vis-à-vis de l’armée des hommes, qui, grâce à la prédominance physique et intellectuelle, possèdent tous les biens terrestres ; voilà l’ennemi commun qu’il s’agit de vaincre et de conquérir, afin d’arriver par cette victoire à posséder les biens de la terre. La première maxime de l’honneur féminin a donc été qu’il faut refuser impitoyablement à l’homme tout commerce illégitime, afin de le contraindre au mariage comme à une sorte de capitulation ; seul moyen de pourvoir toute la gent féminine. Pour atteindre ce résultat, la maxime précédente doit être rigoureusement respectée ; toutes les femmes avec un véritable esprit de corps veillent à son exécution. Une jeune fille qui a failli s’est rendue coupable de trahison envers tout son sexe, car si cette action se généralisait, l’intérêt commun serait compromis ; on la chasse de la communauté, on la couvre de honte ; elle se trouve ainsi avoir perdu son honneur. Toute femme doit la fuir comme une pestiférée. Un même sort attend la femme adultère parce qu’elle a manqué à l’un des termes de la capitulation consentie par le mari. Son exemple serait de nature à détourner les hommes de signer un pareil traité, et le salut de toutes les femmes en dépend. Outre cet honneur particulier à son sexe, la femme adultère perd en outre l’honneur civil, parce que son action est une tromperie, un manque grossier à la foi jurée. L’on peut dire avec quelque indulgence « une jeune fille abusée » on ne dit pas « une femme abusée ». Le séducteur peut bien par le mariage rendre l’honneur à la première, il ne peut pas le rendre à la seconde, même après le divorce. — À voir clairement les choses, on reconnaît donc qu’un esprit de corps utile, indispensable, mais bien calculé et fondé sur l’intérêt, est le principe de l’honneur des femmes : on ne peut nier son importance extrême dans la destinée de la femme, mais on ne saurait lui attribuer une valeur absolue, au delà de la vie et des fins de la vie, et méritant qu’on lui sacrifie l’existence même…

Ce qui prouverait d’une manière générale que l’honneur des femmes n’a pas une origine vraiment conforme à la nature, c’est le nombre des victimes sanglantes qui lui sont offertes, infanticides, suicides des mères. Si une jeune fille qui prend un amant, commet une véritable trahison envers son sexe, n’oublions pas que le pacte féminin avait été accepté tacitement sans engagement formel de sa part. Et comme dans la plupart des cas elle est la première victime, sa folie est infiniment plus grande que sa dépravation. — (P. I. 388.)

 

FIN

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[1] Lettre à d’Alembert, note XX.

[2] Schopenhauer cite en cet endroit le passage suivant de lord Byron (Letters and journals by Th. Moore, vol. II, p. 399), dont voici la traduction : « Réfléchi à la situation des femmes sous les anciens Grecs. — Assez convenable. État présent, un reste de la barbarie féodale du moyen âge — artificiel et contre nature. Elles devraient s’occuper de leur intérieur ; on devrait les bien nourrir et les bien vêtir, mais ne les point mêler à la société. Elles devraient aussi être instruites de la religion, mais ignorer la poésie et la politique, ne lire que des livres de piété et de cuisine. De la musique, du dessin, de la danse, et aussi un peu de jardinage et de labourage de temps en temps. Je les ai vues, en Épire, travailler à l’entretien des routes avec succès. Pourquoi non ? ne fanent-elles pas ? ne sont-elles pas laitières ? »

[3] « Point de jeune femme sans amant : point de vieilles dévotes sans un directeur. » Voltaire Dictionnaire philosophique art. Dévot. — Schopenhauer  ne cite pas ici Voltaire.

[4] « Les femmes font cause commune ; elles sont liées par un esprit de corps, par une espèce de confédération tacite, qui, comme les ligues secrètes d’un État, prouve peut-être la faiblesse du parti qui se croit obligé d’y avoir recours. » Chamfort.

Schopenhauer n’a pas cité cette pensée de Chamfort.

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