Essai sur les femmes

ARTHUR SCHOPENHAUER

 

ESSAI SUR LES FEMMES

Parerga & paralipomena

 

Traduction par J. Bourdeau

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Édition numérique établie par Guy Heff

Février 2013

www.schopenhauer.fr


 

ESSAI SUR LES FEMMES

 

Le seul aspect de la femme révèle qu’elle n’est destinée ni aux grands travaux de l’intelligence, ni aux grands travaux matériels. Elle paie sa dette à la vie nonpar l’action mais par la souffrance, les douleurs de l’enfantement, les soins inquiets de l’enfance ; elle doit obéir à l’homme, être une compagne patiente qui le rassérène. Elle n’est faite ni pour les grands efforts, ni pour les peines ou les plaisirs excessifs ; sa vie peut s’écouler plus silencieuse, plus insignifiante et plus douce que celle de l’homme, sans qu’elle soit, par nature, ni meilleure ni pire.

Ce qui rend les femmes particulièrement aptes à soigner, à élever notre première enfance, c’est qu’elles restent elles-mêmes puériles, futiles et bornées ; elles demeurent toute leur vie de grands enfants, une sorte d’intermédiaire entre l’enfant et l’homme. Que l’on observe une jeune fille folâtrant tout le long du jour avecun enfant, dansant et chantant avec lui, et qu’on imagine ce qu’un homme, avec la meilleure volonté du monde, pourrait faire à sa place.

Chez les jeunes filles, la nature semble avoir voulu faire ce qu’en style dramatique on appelle un coup de théâtre ; elle les pare pour quelques années d’une beauté, d’une grâce, d’une perfection extraordinaires, aux dépens de tout le reste de leur vie, afin que pendant ces rapides années d’éclat elles puissent s’emparer fortement de l’imagination d’un homme et l’entraîner à se charger loyalement d’elles d’une manière quelconque. Pour réussir dans cette entreprise la pure réflexion et la raison ne donnaient pas de garantie suffisante. Aussi la nature a-t-elle armé la femme, comme toute autrecréature, des armes et des instruments nécessaires pour assurer son existence et seulement pendant le temps indispensable, car la nature en cela agit avec son économie habituelle : de même que la fourmi femelle, après son union avec le mâle, perd les ailes qui lui deviendraient inutiles et même dangereuses pour la période d’incubation, de même aussi la plupart du temps, après deux ou trois couches, la femme perd sa beauté, sans doute pour la même raison. De là vient que les jeunes filles regardent généralement les occupations du ménage ou les devoirs de leur état comme des choses accessoires et de pures bagatelles, tandis qu’elles reconnaissent leur véritable vocation dans l’amour, les conquêtes et tout ce qui en dépend, la toilette, la danse, etc.

Plus une chose est noble et accomplie, plus elle se développe lentement et tardivement. La raison et l’intelligence de l’homme n’atteignent guère tout leur développement que vers la vingt-huitième année ; chez la femme, au contraire, la maturité de l’esprit arrive à la dix-huitième année. Aussi n’a-t-elle qu’une raison de dix-huit ans bien strictement mesurée. C’est pour cela que les femmes restent toute leur vie de vrais enfants. Elles ne voient que ce qui est sous leurs yeux, s’attachent au présent, prenant l’apparence pour la réalité et préférant les niaiseries aux choses les plus importantes. Ce qui distingue l’homme de l’animal c’est la raison ; confiné dans le présent, il se reporte vers le passé et songe à l’avenir : de là sa prudence, ses soucis, ses appréhensions fréquentes. La raison débile de la femme ne participe ni à ces avantages, ni à ces inconvénients ; elle est affligée d’une myopie intellectuelle qui lui permet, par une sorte d’intuition, de voir d’une façon pénétrante les choses prochaines ; mais son horizon est borné, ce qui est lointain lui échappe. De là vient que tout ce qui n’est pas immédiat, le passé et l’avenir, agissent plus faiblement sur la femme que sur nous : de là aussi ce penchant bien plus fréquent à la prodigalité, qui parfois touche à la démence. Au fond du cœur les femmes s’imaginent que les hommes sont faits pour gagner de l’argent et les femmes pour le dépenser ; si elles en sont empêchées pendant la vie de leur mari, elles se dédommagent après sa mort. Et ce qui contribue à les confirmer dans cette conviction, c’est que leur mari leur donne l’argent et les charge d’entretenir la maison. — Tant de côtés défectueux sont pourtant compensés par un avantage : la femme plus absorbée dans le moment présent, pour peu qu’il soit supportable en jouit plus que nous ; de là cet enjouement qui lui est propre et la rend capable de distraire et parfois de consoler l’homme accablé de soucis et de peines.

Dans les circonstances difficiles il ne faut pas dédaigner de faire appel, comme autrefois les Germains, aux conseils des femmes ; car elles ont une manière de concevoir les choses toute différente de la nôtre. Elles vont au but par le chemin le plus court, parce que leurs regards s’attachent, en général, à ce qu’elles ont sous la main. Pour nous, au contraire, notre regard dépasse sans s’y arrêter les choses qui nous crèvent les yeux, et cherche bien au delà ; nous avons besoin d’être ramenés à une manière de voir plus simple et plus rapide. Ajoutez à cela que les femmes ont décidément un esprit plus posé, et ne voient dans les choses que ce qu’il y a réellement ; tandis que, sous le coup de nos passions excitées, nous grossissons les objets, et nous nous peignons des chimères.

Les mêmes aptitudes natives expliquent la pitié, l’humanité, la sympathie que les femmes témoignent aux malheureux, tandis qu’elles sont inférieures aux hommes en tout ce qui touche à l’équité, à la droiture et à la scrupuleuse probité. À cause de la faiblesse de leur raison, tout ce qui est présent, visible et immédiat, exerce sur elles un empire contre lequel ne sauraient prévaloir ni les abstractions, ni les maximes établies,ni les résolutions énergiques, ni aucune considération du passé ou de l’avenir, de ce qui est éloigné ou absent. Elles ont de la vertu les qualités premières et principales, mais les secondaires et les accessoires leur font défaut….. Aussi l’injustice est-elle le défaut capital des natures féminines. Cela vient du peu de bon sens et de réflexion que nous avons signalé, et ce qui aggraveencore ce défaut, c’est que la nature, en leur refusant la force, leur a donné, pour protéger leur faiblesse, la ruse en partage ; de là leur fourberie instinctive et leur invincible penchant au mensonge. Le lion a ses dents et ses griffes ; l’éléphant, le sanglier ont leurs défenses, le taureau a ses cornes, la sèche a son encre, qui lui sert à brouiller l’eau autour d’elle ; la nature n’a donné à la femme pour se défendre et se protéger que la dissimulation ; cette faculté supplée à la force que l’homme puise dans la vigueur de ses membres et dans sa raison. La dissimulation est innée chez la femme, chez la plus fine, comme chez la plus sotte. Il lui est aussi naturel d’en user en toute occasion qu’à un animal attaqué dese défendre aussitôt avec ses armes naturelles ; et en agissant ainsi, elle a jusqu’à un certain point conscience de ses droits : ce qui fait qu’il est presque impossible de rencontrer une femme absolument véridique et sincère. Et c’est justement pour cela qu’elle pénètre siaisément la dissimulation d’autrui et qu’il n’est pas prudent d’en faire usage avec elle. — De ce défaut fondamental et de ses conséquences naissent la fausseté, l’infidélité, la trahison, l’ingratitude, etc.