La nature, en séparant l’espèce humaine
en deux catégories, n’a pas fait les parts égales…… — C’est bien ce qu’ont
pensé de tout temps les anciens et les peuples de l’Orient ; ils se
rendaient mieux compte du rôle qui convient aux femmes, que nous ne le faisons
avec notre galanterie à l’ancienne mode française et notre stupide vénération,
qui est bien l’épanouissement le plus complet de la sottise germano-chrétienne.
Cela n’a servi qu’à les rendre si arrogantes, si impertinentes : parfois
elles me font penser aux singes sacrés de Bénarès, qui ont si bien conscience
de leur dignité sacro-sainte et de leur inviolabilité, qu’ils se croient tout
permis.
La
femme en Occident, ce qu’on appelle la dame, se trouve dans une
position tout à fait fausse, car la femme, le sexus sequior des
anciens, n’est nullement faite pour inspirer de la vénération et recevoir des
hommages, ni pour porter la tête plus haute que l’homme, ni pour avoir des
droits égaux aux siens. Les conséquences de cette fausse position ne
sont que trop évidentes. Il serait à souhaiter qu’en Europe on remit à sa place
naturelle ce numéro deux de l’espèce humaine et que l’on supprimât la dame,
objet des railleries de l’Asie entière, dont Rome et la Grèce se seraient
également moquées. Cette réforme serait au point de vue politique et social un
véritable bienfait. Le principe de la loi salique est si évident, si
indiscutable, qu’il semble inutile à formuler. Ce qu’on appelle à proprement
parler la dame européenne est une sorte d’être qui ne devrait pas exister. Il
ne devrait y avoir au monde que des femmes d’intérieur, appliquées au ménage,
et des jeunes filles aspirant à le devenir, et que l’on formerait non à
l’arrogance, mais au travail et à la soumission. C’est précisément parce qu’il
y a des dames en Europe que les femmes de la classe inférieure, c’est-à-dire la
grande majorité, sont infiniment plus à plaindre qu’en Orient[2].
Les
lois qui régissent le mariage en Europe supposent la femme égale de l’homme, et
ont ainsi un point de départ faux. Dans notre hémisphère monogame, se marier,
c’est perdre la moitié de ses droits et doubler ses devoirs. En tout cas,
puisque les lois ont accordé aux femmes les mêmes droits qu’aux hommes, elles
auraient bien dû aussi leur conférer une raison virile. Plus les lois confèrent
aux femmes des droits et des honneurs supérieurs à leur mérite, plus elles restreignent
le nombre de celles qui ont réellement part à ces faveurs, et elles enlèvent
aux autres leurs droits naturels, dans la même proportion où elles en ont
donné d’exceptionnels à quelques privilégiées. L’avantage que la monogamie et
les lois qui en résultent accordent à la femme, en la proclamant l’égale de
l’homme, ce qu’elle n’est à aucun point de vue, produit cette conséquence que
les hommes sensés et prudents hésitent souvent à se laisser entraîner à un si
grand sacrifice, à un pacte si inégal. Chez les peuples polygames chaque femme
trouve quelqu’un qui se charge d’elle, chez nous au contraire le nombre des
femmes mariées est bien restreint et il y a un nombre infini de femmes qui
restent sans protection, vieilles filles végétant tristement, dans les
classes élevées de la société, pauvres créatures soumises à de rudes et
pénibles travaux, dans les rangs inférieurs. Ou bien encore elles deviennent de
misérables prostituées, traînant une vie honteuse et amenées par la force des
choses à former une sorte de classe publique et reconnue, dont le but spécial
est de préserver des dangers de la séduction les heureuses femmes qui ont
trouvé des maris ou qui en peuvent espérer. Dans la seule ville de Londres, il
y a 80,000 filles publiques : vraies victimes de la monogamie, cruellement
immolées sur l’autel du mariage. Toutes ces malheureuses sont la compensation
inévitable de la dame européenne, avec son arrogance et ses prétentions. Aussi
la polygamie est-elle un véritable bienfait pour les femmes considérées dans
leur ensemble. De plus, au point de vue rationnel, on ne voit pas pourquoi,
lorsqu’une femme souffre de quelque mal chronique, ou qu’elle n’a pas
d’enfants, ou qu’elle est à la longue devenue trop vieille, son mari n’en
prendrait pas une seconde. Ce qui a fait le succès des Mormons, c’est justement
la suppression de cette monstrueuse monogamie. En accordant à la femme des
droits au-dessus de sa nature, on lui a imposé également des devoirs au-dessus
de sa nature ; il en découle pour elle une source de malheurs. Ces
exigences de classe et de fortune sont en effet d’un si grand poids que l’homme
qui se marie commet une imprudence s’il ne fait pas un mariage brillant ;
s’il souhaite rencontrer une femme qui lui plaise parfaitement, il la
cherchera en dehors du mariage, et se contentera d’assurer le sort de sa
maîtresse et celui de ses enfants. S’il peut le faire d’une façon juste,
raisonnable, suffisante et que la femme cède, sans exiger rigoureusement
les droits exagérés que le mariage seul lui accorde, elle perd alors l’honneur,
parce que le mariage est la base de la société civile, et elle se prépare une
triste vie, car il est dans la nature de l’homme de se préoccuper outre mesure
de l’opinion des autres. Si, au contraire, la femme résiste, elle court risque
d’épouser un mari qui lui déplaise ou de sécher sur place en restant vieille
fille ; car elle a peu d’années pour se décider. C’est à ce point de vue
de la monogamie qu’il est bon de lire le profond et savant traité de Thomasius
« De concubinatu ». On y voit que chez tous les peuples
civilisés de tous les temps, jusqu’à la Réforme, le concubinat a été une
institution admise, jusqu’à un certain point légalement reconnue et nullement
déshonorante. C’est la réforme luthérienne qui l’a fait descendre de son rang,
parce qu’elle y trouvait une justification du mariage des prêtres, et l’église
catholique n’a pu rester en arrière.
Il
est inutile de disputer sur la polygamie, puisqu’en fait elle existe partout et
qu’il ne s’agit que de l’organiser. Où trouve-t-on de véritables
monogames ? Tous, du moins pendant un temps, et la plupart presque toujours,
nous vivons dans la polygamie. Si tout homme a besoin de plusieurs femmes, il
est tout à fait juste qu’il soit libre, et même qu’il soit obligé de se charger
de plusieurs femmes ; celles-ci seront par là même ramenées à leur vrai
rôle, qui est celui d’un être subordonné, et l’on verra disparaître de ce monde
la dame, ce monstrum de la civilisation européenne
et de la bêtise germano-chrétienne, avec ses ridicules prétentions
au respect et à l’honneur ; plus de dames, mais aussi plus de ces
malheureuses femmes, qui remplissent maintenant l’Europe ! —
…
Il est évident que la femme par nature est destinée à obéir. Et la preuve en
est que celle qui est placée dans cet état d’indépendance absolue contraire à
sa nature s’attache aussitôt à n’importe quel homme par qui elle se laisse
diriger et dominer, parce qu’elle a besoin d’un maître. Est-elle jeune, elle
prend un amant ; est-elle vieille, un confesseur[3].
Le
mariage est un piège que la nature nous tend.
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