Gilles de Rais

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JORIS-KARL HUYSMANS n°523

Gilles de Rais

Annexes

Magie du monstre

Vie de Joris-Karl Huysmans

Repères bibliographiques

© Mille et une nuits, departement de la Librairie Arthème Fayard,
mars 2007 pour la presente édition

978-2-755-50155-1

Notes et postface par

Couverture de

Olivier Fontvieille

Texte intégral


La présente édition a été établie d'après
Joris-Karl Huysmans, La Magie en Poitou, Gilles de Rais, Ligugé, 1899,
tiré à 100 exemplaires et non mis en commerce.
Les illustrations originales p 6, p 11, p 15 et p. 29 sont de J. Robuchon.
Photographie p. 48 · Dornac, Photothèque Hachette
Illustration de couverture d'après Eloi Firmin Féron
© Photothèque Hachette.

Notre adresse Internet : www.1001nuits.com

JORIS-KARL HUYSMANS n°523

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Vue de Tiffauges (Vendée).

Gilles de Rais

Gilles de Rais, dont l'enfance est inconnue, naquit vers 1404, sur les confins de la Bretagne et de l'Anjou, dans le château de Machecoul, en Bas-Poitou. Son père meurt à la fin d'octobre 1415 ; sa mère se remarie presque aussitôt avec un sieur d'Eslouville et l'abandonne, lui et René de Rais, son frère ; il passe sous la tutelle de son aïeul Jean de Craon, seigneur de Champtocé et de la Sage, « homme vieil et ancien et de moult grand âge », disent les textes. Il n'est ni surveillé, ni dirigé par ce vieillard débonnaire et distrait, qui se débarrasse de lui, en le mariant à Catherine de Thouars, le 30 du mois de novembre 1420.

L'on constate sa présence à la cour du Dauphin, cinq ans après; ses contemporains le représentent comme un homme nerveux et robuste, d'une beauté et d'une élégance rares. Les renseignements font défaut sur le rôle qu'il joue dans cette cour, mais on peut aisément les suppléer, en se figurant l'arrivée de Gilles, qui était le plus riche des barons de France, chez un roi pauvre.

À ce moment, en effet, Charles VII est aux abois ; il est sans argent, dénué de prestige, et son autorité reste nulle; la situation de la France, exténuée par les massacres, déjà ravagée quelques années auparavant par la peste, est horrible. Elle est sacrifiée jusqu'au sang, vidée jusqu'aux moelles par l'Angleterre, qui, semblable à ce poulpe fabuleux, le kraken, émerge de la mer, et lance, au-dessus du détroit, sur la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l'Île-de-France, tout le Nord, le centre jusqu'à Orléans, ses tentacules dont les ventouses ne laissent plus, en se soulevant, que des villes taries, que des campagnes mortes.

Les appels de Charles réclamant des subsides, inventant des exactions, pressant l'impôt, sont inutiles. Les cités saccagées, les champs abandonnés et peuplés de loups, ne peuvent secourir un roi dont la légitimité même est douteuse. Il s'éplore ; gueuse aà la ronde, vainement, des sous. À Chinon, dans sa petite cour, c'est un réseau d'intrigues que dénouent çà et là des meurtres. Las d'être traqués, vaguement à l'abri derrière la Loire, Charles et ses partisans finissent par se consoler, dans d'exubérantes orgies, des désastres qui se rapprochent; dans cette royauté au jour le jour, alors que des razzias ou des emprunts rendent la chère opulente et l'ivresse large, l'oubli se fait de ces qui-vive permanents et de ces sursauts, et l'on nargue les lendemains, en sablant les gobelets.

Cependant, les armées anglaises se rejoignaient, inondaient le pays, s'étendaient de plus en plus, envahissaient le centre. Le Roi songeait à se replier dans le Midi, à lâcher la France ; ce fut à ce moment que parut Jeanne d'Arc. Gilles de Rais, qui se trouvait alors à la cour, fut chargé par Charles de la garde et de la défense de la Pucelle. Il la suit partout, l'assiste dans les batailles, sous les murs de Paris même, se tient auprès d'elle à Reims, le jour du sacre, où, à cause de sa valeur, dit Monstrelet, le Roi le nomma maréchal de France, à vingt-cinq ans!

Quelle fut la conduite de Gilles de Rais envers Jeanne d'Arc? Les renseignements font défaut. M. Vallet de Virvillebl'accuse de trahison, sans aucune preuve. M. l'abbé Bossardcprétend, au contraire, qu'il lui fut dévoué et veilla loyalement sur elle, et il étaie son opinion de raisons plausibles. Quoi qu'il en soit, après la capture et la mort de Jeanne, nous perdons les traces de Gilles, que nous retrouvons enfermé, à vingt-six ans, dans le château de Tiffauges.

La vieille culotte de fer, le soudard qui était en lui, disparaissent. En même temps que les méfaits vont commencer, l'artiste et le lettré se développent en notre héros, s'extravasent d, l'incitent même, sous l'impulsion d'un mysticisme à rebours, aux plus savantes des cruautés, aux plus délicats des crimes.

Car il est presque isolé dans son temps, ce baron de Rais ! Alors que ses pairs sont de simples brutes, lui veut des raffinements éperdus d'art, rêve de littérature térébrante eet lointaine, compose même un traité sur l'art d'évoquer les démons, adore la musique, ne veut s'entourer que d'objets introuvables, que de choses rares.

Il était latiniste érudit, causeur spirituel, ami généreux et sûr, il possédait une bibliothèque extraordinaire pour ce temps, où la lecture se confine dans la théologie et les vies des Saints. Nous avons la description de quelques-uns de ses manuscrits: Suétone f, Valère Maximeg; d'un Ovide hsur parchemin, couvert de cuir rouge, avec fermoir de vermeil et clef.

Tout cela coûtait cher, moins pourtant que cette fameuse cour qui l'entourait à Tiffauges et faisait de cette forteresse un lieu unique.

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Le Château de Tiffauges - Porte du donjon.

Il avait une garde de plus de deux cents hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, et tous ces gens avaient, eux-mêmes, des serviteurs magnifiquement équipés aux frais de Gilles. Le luxe de sa chapelle et de sa collégiale tournait positivement à la démence. À Tiffauges, résidait tout le clergé d'une métropole, doyens, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs et diacres, écolâtres et enfants de choeur; le compte nous est resté des surplis i, des étoles j, des aumusses k, des chapeaux de choeur de fin-gris doublés de menu vair. Les ornements sacerdotaux foisonnent: ici, l'on rencontre des parements d'autel en drap vermeil, des courtineslde soie émeraude, une chapemde velours cramoisi, violet, avec drap d'or orfrasé n, une autre en drap de damas aurore; des dalmatiques oen satin pour diacres ; des baldaquins p, figurés, oiselés d'or de Chypre; là, des plats, des calices, des ciboires, martelés, pavés de cabochons, sertis de gemmes, des reliquaires parmi lesquels le chef qen argent de saint Honoré r, tout un amas d'incandescentes orfèvreries qu'un artiste, installé au château, cisèle suivant ses goûts.

Et tout était à l'avenant; sa table était ouverte à tout convive; de tous les coins de la France, des caravanes s'acheminaient vers ce château, où les artistes, les poètes, les savants, trouvaient une hospitalité princière, une aise bon enfant, des dons de bienvenue et des largesses de départ.

Déjà affaiblie par les profondes saignées que lui pratiqua la guerre, sa fortune vacilla sous ces dépenses; alors il entra dans la voie terrible des usures; il emprunta aux pires bourgeois, hypothéqua ses châteaux, aliéna ses terres; il en fut réduit, à certains moments, à demander des avances sur les ornements du culte, sur ses bijoux, sur ses livres.

Effrayée de ces folies, la famille du Maréchal supplia le Roi d'intervenir ; et, en effet, en 1436, Charles VII, « sûr, dit-il, du mauvais gouvernement du sire de Rais », lui fit, en son grand Conseil, et par lettres datées d'Amboise, défense de vendre et aliéner aucune forteresse, aucun château, aucune terre.

Cette ordonnance hâta tout simplement la ruine de l'interdit. Le grand Pince-Maille s, le Maître Usurier du temps, Jean V, Duc de Bretagne, refusa de publier dans ses Etats l'édit, qu'il fit notifier, en sous-main, pourtant, à ceux de ses sujets qui traitaient avec Gilles. Personne n'osant plus acheter de domaines au Maréchal, de peur de s'attirer la haine du Duc, et d'encourir la colère du Roi, Jean V demeura seul acquéreur, et dès lors il fixa les prix. On peut penser si les biens de Gilles de Rais furent possédés à bon compte!

Réduit aux abois, Gilles se laissa entièrement dominer par la passion de l'alchimie et abandonna tout pour elle.