Après la Bourse, à cinq heures. Eh ! bien, vous me verrez tous les mercredis et les samedis. Nous causerons de nos affaires comme un couple d’amis. Ah ! ah ! je suis gai quelquefois. Donnez-moi une aile de perdrix et un verre de vin de Champagne, nous causerons. Je sais bien des choses qu’aujourd’hui l’on peut dire, et qui vous apprendront à connaître les hommes et surtout les femmes. — Va pour la perdrix et le verre de vin de Champagne. — Ne faites pas de folies, autrement vous perdriez ma confiance. Ne prenez pas un grand train de maison. Ayez une vieille bonne, une seule. J’irai vous visiter pour m’assurer de votre santé. J’aurai un capital placé sur votre tête, hé ! hé ! je dois m’informer de vos affaires. Allons, venez ce soir avec votre patron. — Pourriez-vous me dire, s’il n’y a pas d’indiscrétion à le demander, dis-je au petit vieillard quand nous atteignîmes au seuil de la porte, de quelle importance était mon extrait de baptême dans cette affaire ? Jean-Esther Van Gobseck haussa les épaules, sourit malicieusement et me répondit : — Combien la jeunesse est sotte ! Apprenez donc, monsieur l’avoué, car il faut que vous le sachiez pour ne pas vous laisser prendre, qu’avant trente ans la probité et le talent sont encore des espèces d’hypothèques. Passé cet âge, l’on ne peut plus compter sur un homme. Et il ferma sa porte. Trois mois après, j’étais avoué. Bientôt j’eus le bonheur, madame, de pouvoir entreprendre les affaires concernant la restitution de vos propriétés. Le gain de ces procès me fit connaître. Malgré les intérêts énormes que j’avais à payer à Gobseck, en moins de cinq ans je me trouvai libre d’engagements. J’épousai Fanny Malvaut que j’aimais sincèrement. La conformité de nos destinées, de nos travaux, de nos succès augmentait la force de nos sentiments. Un de ses oncles, fermier devenu riche, était mort en lui laissant soixante-dix mille francs qui m’aidèrent à m’acquitter. Depuis ce jour, ma vie ne fut que bonheur et prospérité. Ne parlons donc plus de moi, rien n’est insupportable comme un homme heureux. Revenons à nos personnages. Un an après l’acquisition de mon étude, je fus entraîné, presque malgré moi, dans un déjeuner de garçon. Ce repas était la suite d’une gageure perdue par un de mes camarades contre un jeune homme alors fort en vogue dans le monde élégant. Monsieur de Trailles, la fleur du dandysme de ce temps là, jouissait d’une immense réputation...
— Mais il en jouit encore, dit le comte en interrompant l’avoué. Nul ne porte mieux un habit, ne conduit un tandem mieux que lui.
1 comment