Si c’est là un accident, ce n’est pas un accident du fait d’une bande. Nous ne pouvons nous l’expliquer que de la part d’un individu. Examinons. C’est un individu qui a commis le meurtre. Le voilà seul avec le spectre de la défunte. Il est épouvanté par ce qui gît immobile devant lui. La fureur de sa passion a disparu, et il y a maintenant dans son cœur une large place pour l’horreur naturelle de la chose faite. Son cœur n’a rien de cette assurance qu’inspire inévitablement la présence de plusieurs. Il est seul avec la morte. Il tremble, il est effaré. Cependant il y a nécessité de mettre ce cadavre quelque part. Il le porte à la rivière, mais il laisse derrière lui les autres traces du crime ; car il lui est difficile, pour ne pas dire impossible, d’emporter tout cela en une seule fois, et il lui sera loisible de revenir pour reprendre ce qu’il a laissé. Mais, dans son laborieux voyage vers la rivière, les craintes redoublent en lui. Les bruits de la vie environnent son chemin. Une douzaine de fois il entend ou croit entendre le pas d’un espion. Les lumières mêmes de la ville l’effrayent. À la fin cependant, après de longues et fréquentes pauses pleines d’une profonde angoisse, il atteint les bords de la rivière, et se débarrasse de son sinistre fardeau, au moyen d’un bateau peut-être. Mais, maintenant, quel trésor au monde, quelle menace de châtiment auraient puissance pour contraindre ce meurtrier solitaire à revenir par sa fatigante et périlleuse route, vers le terrible bosquet plein de souvenirs glaçants ? Il ne revient pas, il laisse les conséquences suivre leur cours. Il voudrait revenir qu’il ne le pourrait pas ! Sa seule pensée, c’est de fuir immédiatement. Il tourne le dos pour toujours à ces bosquets pleins d’épouvante, et se sauve comme menacé par le courroux du ciel.

 

« Mais, si nous supposions une bande d’individus ? – Leur nombre leur aurait inspiré de l’audace, si, en vérité, l’audace a jamais pu manquer au cœur d’un fieffé gredin ; et c’est de fieffés gredins seulement qu’on suppose une bande composée. Leur nombre, dis-je, les aurait préservés de cette terreur irraisonnée et de cet effarement qui, selon mon hypothèse, ont paralysé l’individu isolé. Admettons, si vous voulez, la possibilité d’une étourderie chez un, deux ou trois d’entre eux ; le quatrième aurait réparé cette négligence. Ils n’auraient rien laissé derrière eux ; car leur nombre leur aurait permis de tout emporter à la fois. Ils n’auraient pas eu besoin de revenir.

 

« Examinez maintenant cette circonstance, que, dans le vêtement de dessus du cadavre trouvé, une bande, large environ d’un pied, avait été déchirée de bas en haut, depuis l’ourlet jusqu’à la taille, mais non pas arrachée. Elle était roulée trois fois autour de la taille et assujettie dans le dos par une sorte de nœud. Cela a été fait dans le but évident de fournir une prise pour porter le corps. Or, une troupe d’hommes aurait-elle jamais songé à recourir à un pareil expédient ? À trois ou quatre hommes les membres du cadavre auraient fourni une prise non-seulement suffisante, mais la plus commode possible. C’est bien l’invention d’un seul individu, et cela nous ramène à ce fait : Entre le fourré et la rivière, on a découvert que les palissades étaient abattues, et la terre gardait la trace d’un lourd fardeau qu’on y avait traîné ! Mais une troupe d’hommes aurait-elle pris la peine superflue d’abattre une palissade pour traîner un cadavre à travers, puisqu’ils auraient pu, en le soulevant, le faire passer facilement par-dessus ? Une troupe d’hommes se serait-elle même avisée de traîner un cadavre, à moins que ce ne fût pour laisser des traces évidentes de cette traînée ?

 

« Et ici il nous faut revenir à une observation du Commercial, sur laquelle je me suis déjà un peu arrêté. Ce journal dit : « Un morceau d’un des jupons de l’infortunée jeune fille avait été arraché, serré autour de son cou, et noué derrière la tête, probablement pour empêcher ses cris. Cela a été fait par des drôles qui n’avaient même pas un mouchoir de poche. »

 

« J’ai déjà suggéré qu’un parfait coquin n’était jamais sans un mouchoir de poche.