Snep ! Snep ! Avec précaution nous soulevâmes et écartâmes la partie pendante. Nous attendîmes que les hommes en arrière de nous nous eussent rejoints. Il nous semblait qu’ils faisaient un bruit épouvantable. Nous devions être à présent à cinquante mètres du parapet fasciste. Nous nous remîmes à avancer, courbés en deux. À pas de loup, en abaissant le pied aussi doucement qu’un chat lorsqu’il s’approche d’un trou de souris ; puis un arrêt pour écouter, puis un autre pas. Une fois je relevai la tête ; en silence Benjamin m’appliqua sa paume sur la nuque et avec violence la courba vers le sol. Je savais que le barbelé fasciste n’était qu’à vingt mètres à peine du parapet. Il me paraissait invraisemblable que trente hommes pussent y parvenir sans qu’on les entendît. Le bruit seul de notre respiration devait suffire à nous trahir. Et pourtant, nous y parvînmes. Nous pouvions à présent distinguer le parapet fasciste ; sombre, sa ligne de faîte s’estompant, il se dressait devant nous, semblant nous dominer de haut. De nouveau Jorge s’agenouilla, fouilla dans ses poches. Snep ! Snep ! Pas moyen de cisailler ça sans bruit.

C’était bien le réseau intérieur. Nous nous glissâmes au travers à quatre pattes et un peu plus rapidement. Si nous avions à présent le temps de nous déployer, tout irait bien. Jorge et Benjamin se mirent à ramper vers la droite. Mais les hommes en arrière, qui étaient disséminés, avaient à se ranger en une seule file pour passer par la brèche étroite pratiquée dans le barbelé et, juste à ce moment, du parapet fasciste partit un éclair, suivi d’une détonation. La sentinelle avait fini par nous entendre. Jorge se mit en équilibre sur un genou et balança son bras comme un joueur de boules. Sa bombe alla éclater quelque part au-delà du parapet. Instantanément, beaucoup plus rapidement qu’on ne l’eût cru possible, se déclencha, du parapet fasciste, un feu roulant de dix ou vingt fusils. Somme toute, ils nous attendaient. Un bref instant on pouvait voir les sacs de terre dans la lueur blafarde. Nos hommes, restés trop en arrière, lançaient leurs bombes et quelques-unes de celles-ci tombèrent en deçà du parapet. Chaque meurtrière semblait lancer des dards de flamme. C’est une chose qu’on déteste toujours de se trouver sous le feu de l’ennemi dans le noir – on a l’impression d’être personnellement visé par chaque éclair de coup de fusil –, mais le pire, c’étaient encore les bombes. On ne peut en concevoir l’horreur tant qu’on n’en a pas vu une éclater à proximité de soi, et la nuit ; durant le jour il n’y a que le fracas de l’explosion, dans l’obscurité il s’y ajoute l’aveuglante clarté rouge. Je m’étais jeté à terre dès la première décharge ; je restai tout ce temps couché sur le flanc dans la boue gluante, à lutter furieusement avec la goupille d’une bombe ; cette sacrée goupille ne voulait pas sortir. Finalement je me rendis compte que je la tordais dans le mauvais sens. Je la sortis, me redressai sur les genoux, lançai la bombe avec force et me rejetai à terre. La bombe éclata vers la droite, à l’extérieur du parapet ; la peur m’avait fait mal viser. À ce moment précis, une autre bombe éclata en plein devant moi, si près que je sentis la chaleur de l’explosion.