Çà et là traînaient, en quantité, des bombes fascistes – un type de bombe passablement inférieur, que l’on faisait exploser en tirant un cordon – et j’en mis une paire dans ma poche comme souvenirs. On ne pouvait pas ne pas être frappé par le dénuement et la misère des cagnas fascistes. Le fouillis de vêtements de rechange, de livres, de victuailles, de petits objets personnels que l’on voyait dans nos propres cagnas en était complètement absent ; ces pauvres conscrits non payés semblaient ne posséder que des couvertures et quelques quignons de pain mal cuit. Tout à fait à l’extrémité de la position se trouvait un petit abri qui était construit en partie au-dessus du sol et pourvu d’une minuscule fenêtre. Nous projetâmes le faisceau de lumière de la torche électrique à travers la fenêtre et aussitôt nous poussâmes un hourra. Il y avait, appuyé contre le mur, dans un étui en cuir, un objet cylindrique de quatre pieds de haut et de six pouces de diamètre. De toute évidence le canon de la mitrailleuse ! Précipitamment nous fîmes le tour de la cagna, cherchant la porte, et nous entrâmes pour découvrir que l’objet enfermé dans l’étui de cuir n’était pas une mitrailleuse, mais quelque chose qui, dans notre armée dépourvue de matériel de campagne, était encore plus précieux. C’était une énorme longue-vue, dont le pouvoir de grossissement devait probablement être au moins de soixante ou soixante-dix fois, avec un pied pliant. C’est bien simple, une longue-vue semblable, il n’en existait pas sur le front de notre côté et on en avait un très grand besoin. Nous la portâmes dehors en triomphe et l’appuyâmes contre le parapet, avec l’intention de l’emporter plus tard.

À ce moment précis, quelqu’un cria que les fascistes étaient en train de nous cerner. Il est certain que le fracas de la fusillade était devenu beaucoup plus intense. Mais, de toute évidence, les fascistes n’allaient pas contre-attaquer de la droite, ce qui les aurait obligés à traverser le no man’s land et à donner l’assaut à leur propre parapet. S’ils avaient le moindre bon sens, ils allaient nous tomber dessus en nous prenant à revers. En contournant les abris, je me rendis de l’autre côté. La position avait à peu près la forme d’un fer à cheval, les abris étant au centre, si bien que nous étions couverts sur la gauche par un autre parapet. De cette direction venait un feu nourri, mais ce n’était pas ce qu’il y avait de grave. Le point faible était tout à fait de face, là où il n’existait aucune protection. Un flot de balles passaient juste au-dessus de nos têtes. Elles devaient venir de l’autre position fasciste, de la plus éloignée ; il était manifeste que les troupes de choc au bout du compte ne l’avaient pas conquise. Entre-temps le fracas était devenu assourdissant. C’était le grondement ininterrompu, comme un roulement de tambours, d’une fusillade massive, que je n’avais eu jusqu’alors l’occasion d’entendre que d’une certaine distance ; pour la première fois, je me trouvais en plein milieu. Entre-temps la fusillade avait naturellement gagné tout le long de la ligne de feu, sur des kilomètres à l’entour. Douglas Thompson, avec un bras blessé ballant dont il ne pouvait plus se servir, était appuyé contre le parapet et faisait feu d’une seule main dans la direction des éclairs. Un homme dont le propre fusil s’était enrayé lui rechargeait le sien.

Nous étions quatre ou cinq de ce côté-ci de la position. Ce qu’il nous fallait faire sautait aux yeux. Il fallait retirer les sacs de terre du parapet de front et construire une barricade en travers de l’ouverture non protégée du fer à cheval. Et il fallait faire vite. Pour l’heure les balles passaient au-dessus de nous, mais à tout instant l’ennemi pouvait diminuer la hauteur de son tir ; et à en juger d’après les éclairs, nous devions avoir contre nous cent ou deux cents hommes. Nous nous mîmes à dégager les sacs de terre, à les transporter à vingt mètres de là et à les empiler à la va-comme-je-te-pousse. Quelle sale besogne ! C’étaient de grands sacs de terre, pesant chacun un quintal, et l’on n’avait pas trop de toute sa force pour les ébranler ; et puis la toile de sac moisie se fendait et la terre humide vous tombait dessus en cascade, vous dégoulinait dans le cou et le long des bras. Je me souviens que j’éprouvais une profonde horreur de tout : du chaos, de l’obscurité, de l’épouvantable vacarme, des allées et venues dans la boue en manquant de tomber, des grands efforts à déployer en luttant avec ces sacs de terre sur le point de crever – et d’être, par-dessus le marché, tout le temps encombré par mon fusil que je n’osais poser de crainte de le perdre.