La lanterne s’agita projetant des ombres bondissantes. Mademoiselle Verdure s’avançant, Isabelle se reculant, toutes deux se déplacèrent de quelques pas ; puis j’entendis :
– Si ; si ; en souvenir de moi. Je le gardais depuis longtemps. À présent que je suis vieille, qu’est-ce que je ferais de cela ?
– Loly ! Loly ! Vous êtes ce que je laisse ici de meilleur.
Mademoiselle Verdure la pressait entre ses bras :
– Ah ! pauvrette ! comme elle est trempée !
– Mon manteau seulement… ce n’est rien. Laisse-moi partir vite.
– Prends un parapluie au moins.
– Il ne pleut plus.
– La lanterne.
– Qu’est-ce que j’en ferais ? La voiture est tout près. Adieu.
– Allons ! Adieu, ma pauvre enfant ! Que Dieu te… le reste se perdit dans un sanglot. Mademoiselle Verdure resta quelques instants penchée dans la nuit, et une bouffée d’air humide monta du dehors dans la cage de l’escalier ; puis, sur la porte refermée, je l’entendis pousser les verrous…
Je ne pouvais passer devant Mademoiselle Verdure. Gratien emportait chaque soir la clef de la porte de la cuisine. Une autre porte ouvrait de l’autre côté de la maison, par où facilement j’eusse pu sortir, mais c’était un détour énorme. Avant que je ne l’aie retrouvée, Isabelle aurait déjà rejoint sa voiture. Ah ! si de ma fenêtre je l’appelais… Je courus à ma chambre. La lune était de nouveau recouverte ; guettant un bruit de pas j’attendis un instant ; un souffle puissant s’éleva et, tandis que Gratien rentrait par la cuisine, à travers la chuchotante agitation des arbres, j’entendis la voiture d’Isabelle de Saint-Auréol s’éloigner.
VII
Je m’étais mis fort en retard, et, sitôt de retour à Paris, s’emparèrent de moi mille soucis qui déroutèrent enfin mes pensées. La résolution que j’avais prise de retourner l’été suivant à la Quartfourche tempérait mes regrets de n’avoir su pousser plus loin une aventure que je commençais d’oublier lorsque, vers la fin de janvier, je reçus un double faire-part. Les époux Floche avaient tous deux exhalé vers Dieu leur âme tremblante et douce, à quelques jours d’intervalle. Je reconnus sur l’enveloppe du faire-part l’écriture de Mademoiselle Verdure ; mais c’est à Casimir que j’envoyai l’expression banale de mes regrets et de ma sympathie. Deux semaines après je reçus cette lettre :
Mon cher Monsieur Gérard,
(L’enfant n’avait jamais pu se décider à m’appeler par mon nom de famille.
– Comment vous appelez-vous, vous ? m’avait-il demandé dans une promenade, précisément le jour où j’avais commencé à le tutoyer.
– Mais tu le sais bien, Casimir, je m’appelle Monsieur Lacase.
– Non ; pas ce nom-là, l’autre ? réclamait-il.)
Vous êtes bien bon de m’avoir écrit, et votre lettre a été bien bonne parce qu’à présent la Quartfourche est bien triste. Ma grand-maman avait eu jeudi une attaque et ne pouvait plus quitter sa chambre ; alors maman est revenue à la Quartfourche et l’abbé est parti parce qu’il avait été curé du Breuil. C’est après ça que mon oncle et ma tante sont morts. D’abord mon oncle est mort, qui vous aimait bien, et puis dimanche après ma tante qui a été malade trois jours. Maman n’était plus là. J’étais tout seul avec Loly et Delphine, la femme de Gratien, qui m’aime bien ; et ça été très triste parce que ma tante ne voulait pas me quitter. Mais il a bien fallu. Alors maintenant je couche dans la chambre à côté de Delphine, parce que Loly a été rappelée dans l’Orne par son frère. Gratien aussi est très bon pour moi. Il m’a montré à faire des boutures et des greffes, ce qui est très amusant, et puis j’aide à abattre les arbres.
Vous savez, votre petit papier ousque vous avez écrit votre promesse, il faut l’oublier parce qu’il n’y aurait plus personne ici pour vous recevoir. Mais ça me fait beaucoup de chagrin de ne pas vous revoir parce que je vous aimais bien. Mais je ne vous oublie pas.
Votre petit ami,
CASIMIR.
La mort de Monsieur et Madame Floche m’avait laissé assez indifférent, mais cette lettre maladroite et dépourvue me remua. Je n’étais pas libre en ce moment, mais je me promis, dès les vacances de Pâques, de pousser une reconnaissance jusqu’à la Quartfourche. Que m’importait qu’on ne pût m’y recevoir ? Je descendrais à Pont-l’Évêque et louerais une voiture. Ai-je besoin d’ajouter que la pensée d’y retrouver peut-être la mystérieuse Isabelle m’y attirait autant que ma grande pitié pour l’enfant.
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