La vieille femme désigna le haut d’un air interrogateur et, sur l’acquiescement de ma tante, nous précéda pour gravir l’étroit escalier, sa tête ployée atteignant à peine la hauteur de la rampe. Au premier palier elle s’arrêta et, d’un geste d’encouragement, nous poussa vers la porte ouverte de la chambre mortuaire. Ma tante entra et la vieille femme, me voyant hésiter, me fit, à plusieurs reprises, signe de la main. Je pénétrai sur la pointe des pieds. La lumière, à travers la dentelle du store, envahissait la pièce d’un or sombre qui pâlissait et amenuisait la flamme des cierges. Il avait été mis en bière. Nannie donna le signal et nous nous agenouillâmes tous trois au pied du lit. J’affectai de prier, mais ne pouvais rassembler mes pensées, distrait que j’étais par les murmures de la vieille femme. Je remarquai la piteuse façon dont sa jupe était retenue dans le dos, l’usure de côté aux talons de ses chaussons de drap. Il me vint à l’idée que le vieux prêtre devait sourire dans la bière où il reposait. Mais non ! Quand nous nous levâmes et vînmes à la tête du lit, je ne le vis point sourire. Couché là, solennel et corpulent, il avait les habits du sacrifice et ses larges mains retenaient avec mollesse un calice. Sa figure était en vérité truculente, grise et massive, garnie de narines profondes, obscures comme des cavernes, et encerclée d’une maigre fourrure blanche. Une odeur pesait dans la pièce, – les fleurs.

Nous nous signâmes et partîmes. Dans la petite pièce, en bas de l’escalier, nous trouvâmes Eliza dignement assise dans son fauteuil. Je traçai mon chemin vers ma chaise accoutumée, dans le coin, tandis que Nannie sortait du buffet une carafe de sherry et des verres. Elle les posa sur la table et nous invita à nous rafraîchir. Sur l’ordre de sa sœur, elle versa le sherry et nous le passa. Elle me pressa aussi de prendre quelques biscuits secs, mais je refusai, pensant que je ferais trop de bruit en les mangeant. Mon refus parut la désappointer un peu ; elle gagna le sofa derrière sa sœur. Chacun se taisait : nous regardions tous le foyer sans feu.

Ma tante laissa passer un soupir d’Eliza, puis elle dit alors :

– Eh bien, il est parti pour un monde meilleur.

Eliza poussa un nouveau soupir et pencha la tête en signe d’assentiment. Ma tante tapota le pied de son verre avant d’y tremper les lèvres :

– Est-il… sans souffrance ?

– Oh ! tout à fait sans souffrance, madame, répondit Eliza. Vous n’auriez pas su dire à quel moment le souffle le quitta. Il a eu, Dieu soit loué ! une belle mort.

– Et tout ?…

– Le père O’Rourke a eu un entretien avec lui, mardi ; il lui a donné l’extrême-onction, il l’a préparé. Tout a été fait.

– Se rendait-il compte alors ?

– Il était complètement résigné.

– Il a une expression résignée.

– C’est ce qu’a dit la femme qui est venue faire sa toilette. Elle disait qu’il avait absolument l’air d’un homme endormi tant il semblait calme et résigné. Personne n’aurait pensé qu’il eût fait un aussi beau mort.

– Ma foi, oui, approuva ma tante.

Elle prit encore un peu de sherry :

– Eh bien, Miss Flynn, en tout cas ce sera une grande consolation pour vous de savoir que vous avez fait pour lui tout ce que vous pouviez ; vous lui étiez si dévouées toutes deux.

Eliza se caressa les genoux :

– Ah ! pauvre James ! Dieu sait si nous avons fait tout ce que nous avons pu malgré notre pauvreté ; nous n’aurions pas voulu qu’il manquât de quoi que ce soit durant sa vie.

Nannie avait renversé la tête sur l’oreiller du sofa comme si elle allait s’endormir.

– Voyez la pauvre Nannie, dit Eliza en la regardant ; elle n’en peut plus. Nous avons eu bien de la peine, elle et moi, pour nous procurer l’ensevelisseuse, pour sortir le cercueil, pour organiser la messe dans la chapelle. Je ne sais ce que nous serions devenues sans le père O’Rourke. C’est lui qui nous a apporté des fleurs et les deux chandeliers de la chapelle, lui qui a écrit la notice pour le Freeman’s General, qui s’est chargé des papiers pour le cimetière et de l’assurance pour le pauvre James.

– N’est-ce pas gentil de sa part ! dit ma tante.

Eliza ferma les yeux et secoua lentement la tête :

– Ah ! il n’est pas d’amis tels que les vieux amis – j’entends : d’amis auxquels on puisse se fier.

– C’est bien vrai, dit ma tante.