Virginie a maintenant un monsieur chez lequel elle va deux fois par semaine. Seulement, ce n’est guère propre tout de même, car elles n’ont qu’une chambre et une alcôve, et je ne sais trop où Virginie a pu coucher.
Elle s’interrompit un instant, se retournant, reprenant de sa grosse voix étouffée :
― Elle rit de vous voir pleurer, cette sans-cœur, là-bas. Je mettrais ma main au feu que son savonnage est une frime... Elle a emballé les deux autres et elle est venue ici pour leur raconter la tête que vous feriez.
Gervaise ôta ses mains, regarda. Quand elle aperçut devant elle Virginie, au milieu de trois ou quatre femmes, parlant bas, la dévisageant, elle fut prise d’une colère folle. Les bras en avant, cherchant à terre, tournant sur elle-même, dans un tremblement de tous ses membres, elle marcha quelques pas, rencontra un seau plein, le saisit à deux mains, le vida à toute volée.
― Chameau, va ! cria la grande Virginie.
Elle avait fait un saut en arrière, ses bottines seules étaient mouillées. Cependant, le lavoir, que les larmes de la jeune femme révolutionnaient depuis un instant, se bousculait pour voir la bataille. Des laveuses, qui achevaient leur pain, montèrent sur des baquets. D’autres accoururent, les mains pleines de savon. Un cercle se forma.
― Ah ! le chameau ! répétait la grande Virginie. Qu’est-ce qui lui prend, à cette enragée-là !
Gervaise en arrêt, le menton tendu, la face convulsée, ne répondait pas, n’ayant point encore le coup de gosier de Paris. L’autre continua :
― Va donc ! C’est las de rouler la province, ça n’avait pas douze ans que ça servait de paillasse à soldats, ça a laissé une jambe dans son pays... Elle est tombée de pourriture, sa jambe...
Un rire courut. Virginie, voyant son succès, s’approcha de deux pas, redressant sa haute taille, criant plus fort :
― Hein ! avance un peu, pour voir, que je te fasse ton affaire ! Tu sais, il ne faut pas venir nous embêter, ici... Est-ce que je la connais, moi, cette peau ! Si elle m’avait attrapée, je lui aurais joliment retroussé ses jupons ; vous auriez vu ça. Qu’elle dise seulement ce que je lui ai fait... Dis, Rouchie, qu’est-ce qu’on t’a fait ?
― Ne causez pas tant, bégaya Gervaise. Vous savez bien... On a vu mon mari, hier soir... Et taisez-vous, parce que je vous étranglerais, bien sûr.
― Son mari ! Ah ! elle est bonne, celle-là !... Le mari à madame ! comme si on avait des maris avec cette dégaine !... Ce n’est pas ma faute s’il t’a lâchée. Je ne te l’ai pas volé, peut-être. On peut me fouiller... Veux-tu que je te dise, tu l’empoisonnais, cet homme ! Il était trop gentil pour toi... Avait-il son collier, au moins ? Qui est-ce qui a trouvé le mari à madame ?... Il y aura récompense...
Les rires recommencèrent. Gervaise, à voix presque basse, se contentait toujours de murmurer :
― Vous savez bien, vous savez bien... C’est votre sœur, je l’étranglerai, votre sœur...
― Oui, va te frotter à ma sœur, reprit Virginie en ricanant. Ah ! c’est ma sœur ! C’est bien possible, ma sœur a un autre chic que toi...
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