– Cette nuit-là, je n’arrivais pas à dormir. Le vague sentiment d’un malheur imminent pesait sur moi. Ma sœur et moi, vous - 12 -

vous le rappelez, nous étions jumelles, et vous savez quels liens subtils unissent deux âmes qui ont été si étroitement associées. C’était une nuit sauvage. Le vent hurlait au-dehors, la pluie battait et claquait contre les fenêtres. Soudain, dans le vacarme de la tempête éclata le cri perçant et sauvage d’une femme terrifiée. Je sus que c’était la voix de ma sœur ; je sautai de mon lit, m’enveloppai d’un châle et me précipitai dans le corridor. Comme j’ouvrais ma porte, il me sembla entendre un sifflement bas, analogue à celui que ma sœur m’avait décrit, puis, quelques minutes plus tard, un bruit tel qu’on eût dit qu’une masse de métal venait de tomber. Pendant que je courais dans le corridor, la porte de ma sœur s’ouvrit et tourna lentement sur ses gonds. Je la regardais fixement, frappée d’horreur, ne sachant ce qui allait en sortir. A la lumière de la lampe du couloir, je vis ma sœur paraître dans l’ouverture, le visage blanc de terreur, les mains à tâtons cherchant du secours, tout son corps vacillant à droite, à gauche, comme celui d’un ivrogne. Je courus à elle, je la serrai dans mes bras, mais, à ce moment, ses genoux parurent céder et elle tomba sur le sol. Elle se tordait comme quelqu’un qui souffre terriblement et ses membres étaient affreusement convulsés. Je pensai tout d’abord qu’elle ne m’avait pas reconnue, mais, comme je me penchais au-dessus d’elle, elle cria soudain d’une voix que je n’oublierai jamais : « Ô mon Dieu ! Hélène ! C’était la bande ! La bande mouchetée ! » Il y avait autre chose qu’elle aurait voulu dire et de son doigt elle battait l’air dans la direction de la chambre du docteur, mais une nouvelle convulsion la saisit, étouffant ses paroles. Je me précipitai, appelant bien haut mon beau-père et il vint à ma rencontre, sortant en toute hâte de sa chambre. Il était en pyjama. Quand il arriva auprès de ma sœur, elle avait perdu conscience et, bien qu’il lui versât de l’eau-de-vie dans la gorge et qu’il envoyât tout de suite chercher le médecin du village, tous ses efforts demeurèrent inutiles, car elle s’affaiblit lentement et mourut sans avoir repris connaissance. Telle fut la terrible fin de ma sœur bien-aimée. - 13 -

– Un instant, dit Holmes. Êtes-vous certaine d’avoir entendu ce sifflement et ce bruit métallique ? Pourriez-vous le jurer ? – C’est ce que m’a demandé le coroner à l’enquête. J’ai la vive impression que je l’ai entendu et, cependant, dans le tumulte de la tempête et les craquements d’une vieille maison, il se pourrait que je me fusse trompée. – Votre sœur était-elle habillée ? – Non, elle était en toilette de nuit. Elle avait dans la main droite un bout d’allumette carbonisé et dans la gauche une boîte d’allumettes. – Ce qui prouve qu’elle a frotté une allumette pour regarder autour d’elle quand l’alarme s’est produite. C’est important. Et à quelles conclusions le coroner est-il arrivé ? - 14 -

– Il a mené l’enquête avec grand soin, car la conduite du docteur Roylott était depuis longtemps bien connue dans le comté ; toutefois il n’a pas réussi à trouver au décès une cause satisfaisante. Mon témoignage démontrait que la porte avait été fermée de l’intérieur et les fenêtres étaient bloquées par des volets anciens munis de grosses barres de fer dont on vérifiait la fermeture chaque soir. On sonda soigneusement les murs, on les trouva partout très solides, le plancher fut examiné avec le même résultat. La cheminée est large, mais elle est barrée par quatre gros crampons. Il est donc certain que ma sœur était toute seule quand elle mourut.