Conduisez-nous à un
restaurant convenable, cocher. Nous allons déjeuner, après quoi
nous irons retrouver l’ami Lestrade au commissariat de police. »
Nous déjeunâmes fort agréablement tous les deux. Holmes ne
parla pas d’autre chose que de violons, et il me conta avec
beaucoup de verve comment il avait acheté son Stradivarius
personnel qui valait au moins cinq cents guinées chez un
brocanteur juif de Tootenham Court pour cinquante-cinq
shillings. Ce qui le lança sur Paganini, et pendant une heure il
multiplia les anecdotes sur cet homme extraordinaire. L’après-
midi était fort avancé et l’ardeur du soleil légèrement tombée
quand nous arrivâmes au commissariat. Lestrade nous attendait
devant la porte.
« Un télégramme pour vous, monsieur Holmes ! annonça-t-il.
– Ah ! C’est la réponse... »
Il l’ouvrit, y jeta un coup d’œil et l’enfouit dans sa poche.
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« … Tout va bien ! fit-il.
– Avez vous découvert quelque chose ?
– J’ai tout découvert !
– Quoi ? Vous plaisantez ? »
Lestrade le considérait avec stupéfaction.
« Je n’ai jamais été plus sérieux. Un crime ignoble a été
commis, et je crois que j’en possède maintenant tous les détails.
– Et le criminel ? »
Holmes griffonna quelques mots au dos d’une de ses cartes de
visite et la tendit à Lestrade.
« Voilà le nom, dit-il. Vous ne pourrez pas effectuer
l’arrestation avant demain soir au plus tôt. Je préférerais que
vous ne mentionniez pas mon nom dans cette affaire, car je tiens
à ne le voir associé qu’à des problèmes dont la solution présente
des difficultés. Venez, Watson ! »
Nous repartîmes ensemble vers la gare, tandis que Lestrade
contemplait d’un air épanoui la carte que Holmes lui avait remise.
« L’affaire, me dit Sherlock Holmes tandis que nous
bavardions ce soir-là en fumant un cigare dans notre meublé de
Baker Street, est l’une de celles où, comme pour les enquêtes que
vous avez intitulées Étude en rouge ou Le Signe des Quatre, nous
avons été contraints de raisonner en remontant des effets aux
causes. J’ai écrit à Lestrade pour le prier de nous fournir les
détails qui nous manquent encore et qu’il ne pourra se procurer
qu’après avoir capturé le meurtrier. Cette capture ne fait pas de
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doute car, bien qu’il ait la cervelle vide, il est plus tenace qu’un
bouledogue à partir du moment où il a compris ce qu’il doit faire ;
c’est d’ailleurs cette ténacité qui l’a fait monter en grade à
Scotland Yard.
– Votre dossier n’est donc pas complet ?
– Presque complet pour l’essentiel. Nous savons qui est
l’auteur de cette révoltante affaire, mais l’identité de l’une des
victimes nous manque. Naturellement vous avez déjà formulé vos
propres conclusions ?
– Je suppose que ce Jim Browner, steward sur un navire de la
ligne de Liverpool, est l’individu que vous soupçonnez ?
– Oh ! c’est plus qu’un soupçon.
– Et cependant je ne vois rien de mieux que quelques vagues
indications...
– Au contraire, rien ne saurait être plus clair ! Retraçons les
principales étapes. Nous avons abordé l’affaire, vous vous en
souvenez, avec un esprit totalement vierge, ce qui est toujours un
avantage. Nous n’avions pas échafaudé de théories. Nous étions là
simplement pour observer et tirer des déductions de nos
observations.
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